S'il n'en tient qu'à la ministre des Finances et présidente du Conseil du trésor, Monique Jérôme-Forget, la prochaine négociation entre l'État et ses employés pourrait se dérouler selon le modèle de la négociation continue, qu'on nomme aussi parfois négociation raisonnée. Voilà une bonne idée. Mais entre nous, évitons de vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué: en effet, un tel processus est drôlement plus exigeant.
Chaque fois que les négociations entre Québec et ses fonctionnaires entrent dans la phase décisive du «ça passe ou ça casse!», elles sont accompagnées de la menace syndicale de recourir à des moyens de pression. On parle alors de crise, d'automne chaud, de prise d'otages... jusqu'à ce que l'employeur qu'est le gouvernement change de chapeau pour adopter une loi d'exception.
Aux quatre ans, tout le monde se plaint que ce mélodrame aux contours archiconnus vienne de nouveau nous hanter. Chaque fois, on en appelle à des changements en profondeur. Certains parlent de décentralisation radicale des négociations, d'autres de diminution des pouvoirs syndicaux, d'autres encore de changements dans l'approche de négociation.
La négociation dite continue que souhaite proposer Mme Jérôme-Forget à ses partenaires consiste à chercher des solutions aux problèmes tout au long des années d'application d'une convention collective au lieu d'une fois tous les quatre ans. Aussi nommée négociation raisonnée, cette formule, déjà utilisée avec plus ou moins de succès dans certaines entreprises, a pour objectif de prendre le temps de déterminer les intérêts de chaque partie sur un sujet donné et de chercher, ensemble, des solutions qui tiennent compte de ces intérêts respectifs. Cette façon de faire diffère de la négociation traditionnelle, où les parties tentent uniquement d'en obtenir le plus possible sans perdre d'acquis, quitte à déclencher la grève ou le lock-out pour y parvenir. Les contraintes de l'autre, on s'en fout, et tant mieux si le rapport de force permet de vaincre par K.-O.!
On comprendra que la négociation continue et raisonnée procède d'une philosophie plus civilisée. Mais si elle a acquis une certaine crédibilité, c'est d'abord parce que les entreprises où elle a été utilisée étaient aux prises avec des problèmes que les syndiqués menacés de perdre leur emploi comprenaient bien. C'est le cas, par exemple, des sociétés manufacturières frappées par la concurrence étrangère.
De plus, cette approche exige une grande confiance entre les parties puisqu'elle suppose que chacune d'elles soit libre d'explorer des voies de solution sans que chaque hypothèse soulevée soit aussitôt considérée comme une concession.
Or ces conditions n'existent pas dans le secteur public. D'un côté, les syndiqués savent que leur emploi n'est pas menacé et ne voient donc jamais quel serait leur intérêt à abandonner des acquis. Au contraire, tous les efforts seront consacrés à bâtir un rapport de force pour en arracher encore plus à un adversaire dont les coffres, même vides, n'ont jamais de fond.
De son côté, l'employeur qu'est le gouvernement, élu aux quatre ans, n'a jamais pour objectif premier de régler les problèmes concrets d'organisation du travail de ses centaines de milliers d'employés mais bien celui de respecter son cadre budgétaire global.
En somme, même si le bon vieux scénario de l'affrontement périodique entre dinosaures ne plaît à personne par principe, il a cette fois-ci le mérite bien réel d'être prévisible, voire rassurant pour la population, qui sait que l'affrontement ne durera pas, et pour les syndiqués eux-mêmes, dont la majorité préfère encaisser des augmentations modestes, mais certaines, au lieu de perdre des semaines de salaire au cours d'une grève dont l'issue est toujours incertaine.
Mme Jérôme-Forget fait bien de rechercher d'autres façons de négocier avec ses employés, et il faut l'en féliciter. Mais pour réussir, il lui faudra d'abord modifier de façon radicale l'approche adoptée depuis mille ans par les gouvernements.
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