Le vote n'est pas une science exacte

Crise politique canadian


Depuis 2004, les gouvernements minoritaires se succèdent à Ottawa comme les heures d'attente dans une urgence d'hôpital. Ce qui amène les sondeurs à poser régulièrement leur question à 300 millions de dollars (le coût d'une élection fédérale): Êtes-vous pour ou contre les gouvernements minoritaires?
Selon le dernier sondage en date du 13 juillet - un Harris/Décima fait pour La Presse Canadienne - 64 % des répondants préféreraient maintenant un gouvernement fédéral majoritaire. Tellement qu'ils "sont prêts à voter de façon stratégique à cet effet". Eh bien. Bonne chance!
Désolée, mais voter n'est pas une science exacte! Dans notre mode de scrutin, le vote dit stratégique tient carrément du fantasme. Essentiellement pour trois raisons: 1) Les députés sont élus par circonscription. 2) Les grands partis jouissent d'une brochette de "comtés sûrs" où même un chimpanzé borgne se ferait élire s'il est du "bon" parti. 3) Le parti avec le plus grand nombre de députés forme le gouvernement tant qu'il a la confiance de la Chambre. Qu'il soit minoritaire ou majoritaire.
Si on ajoute l'impact imprévisible sur le résultat d'un taux de participation de plus en plus bas, on comprend que "vouloir" un gouvernement majoritaire ou minoritaire, c'est une chose. Mais que penser en "produire" un en additionnant une multitude de petits "x" apposés de manière dite stratégique par des électeurs isolés les uns des autres à travers divers comtés, c'est prendre ses rêves pour la réalité!
De toute façon, la chose à faire n'est-elle pas de voter selon ses convictions? D'autant plus que voter "stratégique" est à peu près futile dans notre système.
ROMANTISME VS NOSTALGIE
La réalité est que la préférence exprimée pour un gouvernement majoritaire ou minoritaire est éminemment circonstancielle. Ce que ce dernier sondage confirme surtout, je dirais, est qu'une majorité de Canadiens considèrent que le gouvernement Harper fonctionne peu ou mal. À un point tel où 44 % souhaiteraient un gouvernement majoritaire libéral plutôt que conservateur! Au Québec, malgré le scandale des commandites, le chiffre grimpe à 51 %! C'est tout dire...
Force est de constater que le spectacle d'un premier ministre néoconservateur et hyper-partisan commence à user les nerfs des électeurs à l'est de l'Alberta. Et à leur faire souhaiter qu'une majorité mette fin à cette mauvaise joute tenant lieu de gouvernement. L'homme est partisan au point d'avoir été obligé de s'excuser pour avoir attaqué Michael Ignatieff au G8 pour des propos qu'il n'avait même pas tenus. Partisan au point d'avoir transformé la Chambre des communes en un western spaghetti sans fin où chaque session tourne au duel avec les libéraux pour quelques votes de plus...
L'an dernier, Stephen Harper a tellement joué avec son petit jeu de stratégie, que la gouverneure générale en a même fermé le Parlement face à la possibilité qu'une coalition PLC-NPD prenne le pouvoir. Le Canada est ainsi devenu le seul pays en Occident dont le Parlement fut fermé pendant des mois en pleine crise économique! Pas surprenant que l'appétit des Canadiens pour les gouvernements minoritaires ait viré en indigestion chronique.
Pourtant, ils sont habitués à la chose. La dernière élection leur donnait leur 11e gouvernement minoritaire depuis 1867! Mais avant Harper, cela signifiait une certaine collaboration entre les partis et des menus législatifs variés et parfois même consistants. Bref, si cette préférence pour les gouvernements minoritaires venait d'une vision quelque peu "romantique" de la chose publique, elle était également formée par des expériences passées plus heureuses que celles vécues sous M. Harper.
Au Québec, même s'il n'y a eu que deux gouvernements minoritaires - 1878 et 2007 -, bien des Québécois leur étaient favorables en 2007 et 2008. D'autant plus que Jean Charest, contrairement à M. Harper, s'était métamorphosé en "Monsieur Consensus" et prêchait les vertus de la "cohabitation" du haut de la Grande-Allée. Mais paradoxalement, il fut reporté au pouvoir en décembre avec une majorité.
Et pourtant, voyant les crises des derniers mois, c'est à se demander si les Québécois, contrairement à ce qu'ils souhaitent à Ottawa, n'éprouveraient pas maintenant ne serait-ce qu'un brin de nostalgie pour un gouvernement minoritaire à Québec...
Mais qu'ils soient minoritaires ou non, les gouvernements au Canada souffrent d'un mal bien plus inquiétant encore: celui d'une chute dramatique du taux de participation due à une érosion croissante de la confiance des citoyens à leur endroit. Pour une brochette de raisons. Dont cette impression que certains élus ont l'éthique de plus en plus flexible; qu'ils exercent de moins en moins leur pouvoir; que leurs premiers ministres en exercent trop; et que les lobbys d'affaires prennent trop souvent le dessus sur la société civile et le bien commun.
Tant et aussi longtemps qu'une ou un chef de parti ne se pointera pas avec une vision et une équipe que les citoyens sentiront capables de stopper, ou au moins de ralentir ce glissement du pouvoir politique, le taux de participation restera anémique. Parce que les citoyens verront que rien ne change. Que leurs gouvernements soient minoritaires ou majoritaires.


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