La crise politique belge est vraiment interminable et il faut que je renonce certaines semaines à parler de ses rebondissements qui sont en réalité parfois des sauts de puces invisibles à l'oeil nu. Pourtant, en un sens, tout va très vite.
« Ce peuple ne perdra ni la liberté ni l’indépendance »
On a quand même le sentiment, avec le regard de l'histoire, que le temps va quand même très vite. Je suis né en 1946. 34 ans avant ma naissance, le 7 juillet 1912, un Congrès wallon adopta sous l’impulsion de Jules Destrée l’ordre du jour suivant : « Le Congrès émet le vœu de voir la Wallonie séparée de la Flandre en vue de l’extension de son indépendance vis-à-vis du pouvoir central ». Deux ans après c’était la guerre.
Le mouvement wallon continua à être remarquablement actif durant celle-ci et après : en 1932, guidé par l’accord des socialistes flamands et wallons sur ce point, en 1929, une frontière linguistique sépara la Wallonie de la Flandre. Le 20 octobre 1945, après une guerre terrible en laquelle la résistance wallonne s’était illustrée, peut-être plus massivement que la résistance française, toutes proportions gardées, Fernand Dehousse follement acclamé par un Congrès regroupant les élites politiques wallonnes s’écriait :
« Les circonstances ont voulu que, pour assister à ce Congrès, je revienne de France et que je fasse la traversée Paris-Liège en auto, ce matin. En arrivant sur les hauteurs, je regardais comme je le fais souvent, cette ville de Liège si belle sous le soleil d'octobre, j'admirais les feuillages mordorés et la douceur de la courbe des collines, le frémissement et le scintillement de l'eau, et je pensais que, sur cette terre-là, vit une race qui, depuis des siècles, pratique la liberté et l'indépendance. Elle ne les perdra pas! »
Sa solution pour « garder la liberté », c’était le fédéralisme, un fédéralisme mâtiné en fait de confédéralisme. Cinq ans plus tard, pressé par la violence de l’insurrection en pays wallon, Léopold III tenta, juste avant son abdication de faire des ouvertures à ce propos. Mais il était devenu tellement l’homme à abattre qu’on ne songeait plus qu’à l’abattre, toutes affaires cessantes. Comme le dit le film sur ces événements de Michel Vuillermet, La Chute d’un Roi (consultable sur You Tube), cela fit perdre vingt ans au fédéralisme, même si au cœur de la plus longue et de la plus terrible grève générale de l’hiver le plus mortellement froid de la patrie, le grand leader syndical wallon, André Renard, le véritable père de la liberté wallonne, relança le mouvement fédéraliste. C'était durant l'hiver 1960-1961. J’étais dans mon lit à l’hôpital, à 13 ans, pour une bête appendicite.
La première réunion d’un parlement wallon : sinistre !
Le premier Parlement wallon se réunit à Namur le 15 octobre 1980. J’y étais. Comme journaliste plus bénévole qu’indépendant. L’ambiance était horrible. Les bancs du PSC grognaient sans cesse. Leur chef de groupe se leva pour prendre la parole et dire que cette assemblée ne règlerait que des questions fort secondaires. Le fils de Fernand Dehousse, Jean-Maurice, brillant juriste et politique, lui, croyait à la Wallonie en se souvenant de Saint-Exupéry et de son petit prince qui disait « L’essentiel est invisible aux yeux ».
Je lis aujourd’hui l’interview de Serge Kubla (qui a mon âge) et qui avoue dans La Libre Belgique n’avoir aucun souvenir précis de cette séance (alors qu’il y était avec des honoraires plus élevés que les miens qui tendaient non pas vers 0 mais vers moins que cela puisque j’étais venu à mes frais). A l’époque les membres de l’assemblée wallonne étaient également mandataires nationaux et considéraient comme plus important ce mandat national, le régional étant anecdotique. Ce n’est que 15 ans plus tard que l’on a séparé les deux fonctions et que les parlementaires de Namur sont devenus des députés élus directement en Wallonie, donc des députés d’abord wallons. Le journaliste de La Libre Belgique (l’excellent Paul Piret que l’on peut décrire comme un Wallon modéré), demande alors à S.Kubla si toute cette dynamique n’a pas contribué à éloigner la Wallonie de la Flandre. Il répond :
« Nous n’avons pas la même langue, les mêmes références culturelles, la même économie, les mêmes problèmes d’emploi, les mêmes médias, le même humour… Objectivement le distanciement est structurel et les autorités fédérales ne font plus le lien parce qu’elles sont animées par une dynamique davantage séparatrice que de compréhension (…) Il n’est plus que quelques matières pour nous unir. Et elles ne sont plus constructives mais délétères. »
Vers l’indépendance
Serge Kubla, député de l’opposition au Gouvernement de Namur, réagit aux sondages qui montrent que plus de 50% des Wallons désirent le retour à l’Etat unitaire en disant que c’est la nostalgie d’une époque de plein emploi. Mais ajoute aussitôt au moins un exemple de réussite du fédéralisme : les aéroports (Charleroi est devenu le 2e aéroport belge et Liège le 8e d’Europe en matière de transport de marchandises). Dans l'Etat unitaire, leur développement était impossible, tout allait à l'aéroport national de Bruxelles (situé en Flandre, ce qui fait que les passagers qui y débarquent ne se doutent pas que l'on parle le français en Belgique).
Il ajoute un peu plus loin les exportations wallonnes (qui continuent leur progression à deux chiffres vers certains pays durant les premiers mois de cette année), des universités qui se réunissent et qui le font dans une optique wallonne (fait très neuf ceci), la bonne démographie, la prise de conscience des défis internationaux.
Il pense aussi que les Wallons sont encore contaminés par une idéologie socialiste de sécurité de vie (et non d'esprit d'entreprise). Il ajoute : « Il est irréversible qu’on aille vers une régionalisation très approfondie au minimum. Et à un moment donné, certains voudront aller plus loin, vers la dislocation de l’Etat. Mais le moment de la dislocation n’est pas déjà venu. » Cela viendra « vite » au sens où j’ai utilisé ce mot dans toute cette chronique.
La Wallonie autonome a 30 ans le 15 octobre prochain. Elle sera quasiment indépendante quand les négociations actuelles auront abouti, ce qui ne demandera ni des siècles, ni même des décennies, ni même des années. Sauf si l’on se met d’accord pour négocier la sécession. Mais ce serait – aujourd’hui – fort compliqué pour tout le monde. Comme tout va si vite, répétons-nous le proverbe : « Chaque chose en son temps ». Tiens – anecdote – Louis Michel, l’un des députés libéraux (au Parlement européen), les plus importants du parti de Serge Kubla a dit mercredi passé à la radio qu’il croyait en l’éternité de la Belgique.
Un homme trop pressé par le temps et qui ne l'a pas vu passer.
Lire l'interview de S. Kubla
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