Le 23 mai dernier, le chroniqueur Jonathan Trudeau, un fier canadien, a publié sur le site web du Journal de Montréal un texte intitulé Le Québec n'est pas un pays, Monsieur Péladeau. Pour monsieur Trudeau, le Québec est une province du Canada, au même titre que l'Île-du-Prince-Édouard... Et cela l'«irrite au plus haut point» qu'on ose autrement qualifier de «pays», la si Belle province que nous sommes ...
Cet article a été précédé deux jours plus tôt d'un billet paru dans le National Post et intitulé Experts agree: Canada is a real country (and Pierre Karl Péladeau is wrong). Plusieurs universitaires canadiens-anglais, dont Howard Leeson de l'Université de Régina, y réfutent l'affirmation du chef du Parti québécois voulant que le Canada serait un pays imaginaire...
«On veut un pays, on veut un pays»... ou plutôt, «on veut l'indépendance de notre pays!»
Les «experts», autant que monsieur Trudeau, devraient à mon avis prendre un peu plus de temps et de recul pour réfléchir à la question. Car, le Québec est bel et bien un «pays», comme le chante si magistralement Gilles Vigneault... Et ce pays, ce n'est pas que l'hiver. Heureusement.
Le Québec n'est pas qu'une province. Je dirais même qu'il n'est pas vraiment une province, n'en déplaise à tous ceux qui travaillent sans relâche à le réduire à tel statut... Rappelons, à la manière du premier ministre Bernard Landry, que le mot «province» provient du latin «pro victis», qui signifie «pour les vaincus». Cela fait déjà longtemps que sous le règne de Jean Lesage, on a voulu retirer le mot «province» du vocabulaire de l'administration gouvernementale québécoise. On parlera plutôt du Gouvernement du Québec ou de l'État québécois, le terme «province» participant du langage constitutionnel canado-britannique, qui aujourd'hui paraît dépassé à bien des égards...
Mieux encore, le Québec, qui n'a jamais signé la constitution de Pierre Elliott Trudeau, faut-il le rappeler, se reconnaît lui-même officiellement comme «Peuple» et «État». Ce statut a d'ailleurs été cristallisé dans notre droit par la Loi 99 sur l'exercice des droits fondamentaux et les prérogatives du peuple québécois et de l'État du Québec (2000, c. 46), sanctionnée en 2000, laquelle se voulait une réponse forte à la scélérate Loi fédérale sur la clarté. En outre, le Québec est largement reconnu comme tel par plusieurs acteurs internationaux: un «peuple» et un «État», quoique cet État n'ait pas, du moins pas encore, la pleine personnalité internationale. Tout de même, la doctrine Gérin-Lajoie aura sans doute beaucoup contribué depuis les années 1960 à ce que notre statut politique reconnu ne soit pas simplement que «provincial».
Cela dit, l'utilisation du mot «pays» pour désigner le Québec serait-elle pour autant abusive? Je ne crois pas. Bien au contraire.
Le Québec est un pays. Ce pays bien à nous est là, «sous nos pieds», comme l'a si souvent affirmé l'ancien militaire et professeur de géopolitique à l'Université de Toronto, Jean-René-Marcel Sauvé: «L'indépendance du Québec, ce n'est pas un projet de pays: le pays est déjà là!»
L'indépendance politique ou la personnalité internationale ne sont pas des critères obligatoires pour la désignation d'un territoire ou d'un corps politique en tant que «pays». Prenons par exemple le «Pays» basque ou le «Pays» de Galles, qui ne sont pas, à ce que je sache, des États indépendants...
Le mot «pays» revêt tout d'abord un sens géographique. Ainsi, le «pays» du Québec existe, avec son foyer géographique, ses institutions et sa culture. Cependant, ce «pays» québécois évolue sous la tutelle de l'État canadien, qui s'est imposée comme étant l'ordre constitué, d'abord par la force des armes, puis par une succession d'Actes constitutionnels inacceptables au plan démocratique.
Pour illustrer mon propos, sans vouloir faire de comparaisons douteuses, quand l'Irlande était sous occupation britannique, elle n'en était pas moins un «pays»... Et quand la France a été sous occupation allemande, cela à plusieurs reprises, la France n'a pas cessé d'exister en tant que «pays», - état de fait que Charles de Gaulle, notamment, a très bien compris...
On ne saurait donc adopter un point de vue étroit, réducteur ou purement positiviste en droit quant à ce qui devrait ou non être appelé un «pays», expression large et, à bien des égards, subjective.
Le Canada n'est pas un pays, mais quelque chose comme un sous-continent
Pour les fins de l'exercice, penchons-nous sur le cas du Canada et de l'utilisation forcément très répandue du mot «pays» afin de le désigner...
En fait, dans sa logique géographique, le Canada se révèle davantage comme étant un «sous-continent», et non un «pays». Sur ce sous-continent se trouvent plusieurs blocs géographiques et géopolitiques, plusieurs «pays», plusieurs «États» naturels n'appartenant pas à un même complexe structurel et politique «canadien». Ainsi, la Colombie-Britannique, coupée du reste du sous-continent canadien par les Rocheuses, a une économie entièrement alignée sur l'axe de la côte ouest et de l'océan Pacifique. Les Maritimes se trouvent quant à elles complètement à l'opposé.
Le Dominion du Canada, ou «Puissance du Canada», se voulait un État néocolonial visant à préserver certains intérêts de la Grande-Bretagne en Amérique du Nord. Il succédait en cela au gouvernement britannique dans son rôle impérial et usurpateur qu'il a exercé depuis la Conquête, mais en aucun cas la «Confédération» n'a-t-elle émané de l'évolution naturelle de nos réalités géographiques, et encore moins de notre volonté démocratique. Sous cet angle, le quasi-royaume du Canada, - car malgré l'indépendance acquise du Royaume-Uni en 1982, il n'est pas encore clair que le Canada ait vraiment cessé d'être un Dominion pour devenir un authentique royaume -, le Canada, donc, apparaît comme une abstraction et se maintient probablement du fait du loyalisme historique que lui voue principalement la masse des Canadiens-anglais qui, sait-on, seraient peut-être mieux servis si leurs États «provinciaux» cessaient d'être membres de la Fédération canadienne...
L'État canadien, créé par les anciens États coloniaux de l'Amérique du Nord britannique et de l'avis de sa Majesté la Reine, agit davantage comme un comptoir étatique pseudo-fédératif qu'un État naturel, car celui-ci ne sera jamais parfaitement incarné dans son territoire dit «d'un océan à l'autre». Ottawa n'a pas d'emprise réelle sur l'ensemble des «pays internes» où il exerce ses champs de compétence fédéraux. Ces «pays internes» qui d'ailleurs, comme le Québec, - État naturel sis dans la vallée du Saint-Laurent, foyer national des Québécois -, préexistaient au Canada et sont le fruit de la géographie et de l'économie réelles, et non de décisions politiques arbitraires prise par quelque empereur, monarque ou oligarque parvenu.
On pourrait donc dire que l'État canadien forme un pays artificiel, ineffectif, alors que le Québec, lui, est notre pays réel.
Mais, j'accorderai bien à qui veut l'entendre qu'il serait évidemment préférable que le Québec devienne un Pays avec un grand «P», ce qui dissiperait assurément toute confusion et confirmerait ce qui est déjà extraordinairement évident et ce, depuis longtemps: que le Québec a certes la stature d'un pays, à défaut d'avoir encore acquis le statut juridique correspondant.
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