Très intéressant texte ici de D. Desroches - [Le Québec devant la glace->10725] - qui
souvent décrit très bien les symptômes du malaise québécois tout en
dégageant des interprétations crédibles. Toutefois ce malaise est aussi le
résultat d’une culture occidentale qui a tout fait pour réduire le lien
social à sa plus simple expression. L’hyper libéralisme de consommation
matérialiste a inventé l’être de l’autosuffisance supporté par les plus
hautes technologies. Le libéralisme actuel dominant de type états-unien a
créé l’autonomie par l’abandon ou si l’on préfère l’autonomie dans
l’irresponsabilité. Ce modèle américain s’est fortement implanté au Québec
contribuant par sa spécificité à notre désocialisation et aussi
partiellement à notre dénationalisation des douze dernières
années.
Il y a eu au Québec en ne tenant plus compte maintenant du système
états-unien deux scissions qui apparemment se sont faites. Celle bien sûr
qui concerne la pratique religieuse qui à travers la génération des
baby-boomers s’est éteinte très rapidement. L’effondrement plutôt rapide de
la conviction catholique au Québec procède d’une sorte de record en
Occident. En France, le processus de laïcisation s’est étendu sur une
période de 150 ans. Ici malgré une résistance libérale au clergé, le repli
identitaire catholique n’en pas moins été une réalité assez forte pendant
une centaine d’années.
La plupart de nos grands parents de la génération nés entre 1895 ou
1905-1910 se sont généralement insérés dans la discipline des rites et des
croyances de l’église sans aller tout de même jusqu’au point de se priver
d’un certain nombre de transgressions biens humaines. Ceci dit, dans cette
société d’hier ; symboles, coutumes et l’existence d’un grand récit
organise et encadre la vie de ceux qui nous ont précédés sur cette terre.
Or, entre 1963 et 1980, toute cette tradition agonise et connaît ses
derniers moments.
À cette voie de l’église existait en complémentarité une autre conception
qui a été celle de l’idée d’un vaste Canada français commençant en Acadie
et se terminant au Manitoba.
Cette interprétation s’est forgée au moment de la confédération de 1867 à
travers la notion des deux peuples fondateurs qui s’est nourri à la fois
par l’idéologie réconciliatrice de l’église et par le rappel de la grande
Nouvelle France des coureurs des bois.
Nos parents mais surtout nos grands parents pour les plus vieux d’entre
nous n’ont pu pour la plupart rompre avec cette double tradition canadienne
française et catholique. Le référendum de 1980 par son clivage de 60%
contre et 40% pour la souveraineté informe sur un fossé générationnel et
culturel entre ceux qui sont nés avant 1945 et ceux qui sont nés après.
René Lévesque et Pierre Bourgault tout comme quelques autres ont été des
révolutionnaires contre toute une culture dominante. La conception d’un
État nation québécois et laïque a été principalement progressivement suivi
par les générations de l’après guerre. Les générations plus âgées déjà en
1975-1985 se sont retrouvés dans un état de scission avec les plus jeunes.
Si en 1995, le dernier référendum a témoigné que ce fossé générationnel
pouvait se réduire
du fait que la génération dominante né en 1945 a pris le pouvoir tout en
réussissant en bonne partie à transmettre à ses enfants la réalité
contemporaine du Québec. Il n’en reste pas moins
que le vieux « rêve » d’un Canada français subsiste encore chez un certain
nombre de Québécois toutefois le dernier recensement 2006 de statistique
Canada ne peut guère qu’achever cette dernière illusion sous peine de
suicide collectif.
Ce point de vue n’est pas optimiste ni totalement désespéré. Il exprime
une double scission au Québec qui s’est produite depuis 40 ans aggravée par
l’indolence de l’american way of life
qui négativement contamine plus que jamais la société québécoise actuelle
celle qui pourtant a voté oui à 49 % en 1995 pour la souveraineté.
Ce qui est avancé ici est une manière de rejoindre D.Desroches en disant
que la perte de transmission est bel et bien une réalité au Québec que
c’est un résultat inévitable de la rupture culturelle de 1960 mais qu’il
faut en sortir de cette perte de sens.
La fin d’un certain rêve religieux comme de celui du Canada français a
permis l’éclosion du rêve d’un pays québécois encore bien vaste et riche de
sa nordicité.
Et si autrement l’indifférence matérialiste individualiste brise le sens
même de l’élémentaire transmission parentale. Alors ! Aux Etats-Unis, en
France, au Japon, au Québec, au Canada, demain en Chine, partout ce système
du capitalisme en perte d’âme finira par imploser, par se dissoudre du
contenu de sa propre insignifiance.
La psychologie politique est vaste et trop étroite en même temps. Tout ne
se réduit pas à une analogie stricte entre l’individu et la nation. Il faut
reconnaître également que la civilisation occidentale dont le Québec fait
partie comporte une dimension *nihiliste d’importance dont la conséquence
est la désorientation chronique des individus et par extension des nations.
Tout problème de transmission se traduit par la réduction
de la courbe démographique. Si « nous ne vivons plus que pour nous-mêmes »
pourquoi ferions nous des enfants pour prendre notre relève. Le problème
occidental c’est aussi le problème du mouvement écologique. L’humanité
future a-t-elle de l’importance
pour la somme de nos ego plongés dans l’ici et maintenant en *temps réel
?
Si le Québec digère mal ses ruptures avec le passé et son rapport avec une
modernité indifférente au sens. C’est le but de tous ceux qui pensent de
prendre conscience de ce qui se passe afin de mettre fin aux tourments de
la dépression collective.
*nihiliste : ne plus croire en rien.
*temps réel : temps organisé par notre rapport à la
(télésatellite-ordinateur) technologie audiovisuelle.
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2 commentaires
Jean Pierre Bouchard Répondre
8 décembre 2007M.Desroches.Lecteurs de ce message.
La question de l’abandon à une signification historique pour nous celle qui passe par le traité de Paris de 1763.
L’amputation continentale depuis qui s’est achevée par la confédération traîtresse n’a fait que traduire géographiquement un sentiment de perte qui a encouragé le mutisme de plusieurs de nos pères contre leurs propres enfants les enfermant ainsi dans la désorientation et la souffrance existentielle. Perplexité, ajournement dans l’abandon selon plusieurs variables c’est tout ça cette déchirure qui s’exécute dans une sorte d’inter action entre la nation et ses milieux familiaux. Les scissions inévitables observées sont le résultat de notre histoire. Une seule solution profonde contre
ce mal : l’indépendance du Québec.
Toutefois il est vrai aussi que tout n’a pas été souffrance dans cette histoire. On y retrouvait une vie quotidienne qui connaissait ses moments de tristesse mais également de joie et de
célébration. Effectivement notre folklore doit être revisité et un chanteur québécois comme Michel Faubert le fait depuis 13 ans avec quelques disques fruit de complaintes traditionnelles réarrangés au goût du jour. Pas très connu ceux qui le connaissent
l’apprécient autant que plusieurs de nos chanteurs ou groupes les plus populaires
dont par exemple Daniel Bélanger.
Folklore trop oublié.
Nous sommes très américanisés culturellement même si notre sort ne se compare pas à celui des Canadiens.
Dans l'ensemble, bonne appréciation de vos remarques.
Dominic Desroches Répondre
8 décembre 2007Cher Monsieur Bouchard,
je vous remercie d'avoir lu mon texte et de poursuivre la correspondance. Je formulerai quelques remarques rapides au sujet du vôtre reposant sur l'idée pertinente de perplexité.
Vous avez sans doute raison de dire que le Québec participe, sur le plan économique, beaucoup à la pensée néolibérale, ce qui l'affaiblit sur certains autres plans. Oui, le Québec est une société complexe trouvant sa place dans le monde occidental. Vous avez aussi fort bien vu qu'un des grands problèmes du Québec contemporain est la question impossible de l'Église. L'idée de deux scissions est intéressante et mériterai encore des développements.
Je retiens de votre commentaire l'idée prometteuse suivante : on ne peut pas poursuivre une vie de consommateur et maîtriser son destin historique. Les valeurs, du domaine de la qualité, exigent le respect et l'enseignement. Être et avoir se conjugent différemment. Être riche, on l'oublie souvent, ce n'est pas posséder quelque chose, mais plutôt savoir comment se comporter dans le monde. Ici, vous soulignez donc ce que je nommerais, après le poète, l'échec du matériel.
Aussi la transmission, qui passait par le folklore, s'est perdue. Les Québécois ne semblent pas comprendre que le folklore, pratiqué dans les grandes familles traditionnelles sur l'ensemble du territoire, a assuré leur survie et qu'il convient, à l'heure du néolibéralisme sauvage, de le revisiter. Un peuple qui ne fait pas d'enfant et qui n'enseigne pas son folklore (y compris à ses nouveaux arrivants) se méprise lui-même. La cesure, en ce sens, serait moins violente si les cours d'histoire rappelaient aussi les raisons d'exister et de se perpétuer dans le temps.
Est perplexe, vous avez oublié de le dire, celui qui ne sait pas quoi faire devant l'embarras qu'il est devenu pour lui-même...