La politique est en grande partie une affaire de mots. Entre la « souveraineté » et « l’indépendance », la « rigueur » et l’« austérité », il y a plus qu’une simple question de sémantique.
Au départ, les divers porte-parole du gouvernement Couillard ont voulu placer les relations avec Ottawa sous le signe de la « collaboration », mais le mot demeure trop chargé de mauvais souvenirs dans l’esprit de certains. Pour empêcher de malheureux rapprochements, on semble maintenant préférer parler de « convergence ».
C’est en tout cas l’expression qu’a utilisée la ministre déléguée à la Réadaptation, à la Protection de la jeunesse et à la Santé publique, Lucie Charlebois, pour justifier l’entente sur la lutte contre l’itinérance qui a été conclue avec le gouvernement Harper. « Le Québec a choisi de miser sur les convergences entre les priorités du gouvernement du Québec et celles du gouvernement du Canada », a-t-elle expliqué.
Le problème est que Québec semble avoir complètement abandonné à Ottawa le soin de définir les modalités de cette convergence. Contrairement à ce que Mme Charlebois soutenait énergiquement la semaine dernière à l’Assemblée nationale, le Québec s’est engagé à respecter la norme imposée à toutes les grandes villes canadiennes, qui prévoit que les deux tiers des fonds fédéraux doivent être consacrés au logement.
« L’entente, vous en aurez une copie et vous verrez qu’il n’y a aucun pourcentage, assurait pourtant Mme Charlebois jeudi dernier. Vous voulez une chicane fédérale-provinciale. Je le sais que c’est votre orientation, ce n’est pas la nôtre. » Dans le langage pudique de mise entre parlementaires, on appelle cela « induire la Chambre en erreur », autrement dit mentir.
Tout le monde reconnaît que le logement fait partie de la problématique de l’itinérance, mais il tombe également sous le sens que si l’on y consacre l’essentiel des sommes octroyées par Ottawa, les services de première ligne, qui s’adressent au plus grand nombre, vont écoper.
À deux reprises, l’Assemblée nationale a pourtant adopté à l’unanimité des motions demandant qu’il n’y ait aucune contrainte à l’utilisation de ce financement, conformément à l’esprit de la Stratégie des partenariats de lutte contre l’itinérance. En français, on appelle cela une divergence de vues, mais le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral lui confère apparemment celui de réécrire le dictionnaire.
C’est cette même convergence telle qu’elle est définie par Ottawa qui a déterminé l’attitude du premier ministre Couillard dans le dossier du projet d’oléoduc de TransCanada. Puisque le gouvernement fédéral dépense au Québec 16 milliards de plus qu’il n’y collecte en taxes et en impôts, M. Couillard semble penser que cela lui donne le droit de lui imposer sa vision du développement économique, quitte à prendre de sérieux risques avec l’environnement.
La beauté du principe de convergence est précisément qu’il peut être appliqué dans tous les domaines. Ainsi, la ministre responsable de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Kathleen Weil, a expliqué qu’en sa qualité de fédéraliste, elle n’avait aucune objection à ce que ce soit le Canada, avec toute la force de ses symboles, plutôt que le Québec, qui accueille les nouveaux immigrants. Peu importe que leur intégration à la société québécoise puisse en souffrir, du moment que l’unité canadienne y trouve son compte.
Soit, le gouvernement Couillard a joint sa voix à celle du PQ pour condamner le projet de loi C-51 prévoyant l’octroi de pouvoirs supplémentaires au Service canadien du renseignement de sécurité pour lutter contre le terrorisme, mais d’anciens premiers ministres du Canada ayant également signifié leur opposition, il ne peut pas être accusé de fréquentations douteuses.
Quand Jean Charest a pris le pouvoir, on ne se souvenait pas d’un premier ministre québécois aussi inconditionnellement fédéraliste depuis Adélard Godbout. À la Chambre des communes, Stephen Harper lui-même reprochait à Paul Martin de ne pas profiter suffisamment de ses bonnes dispositions.
Avec le temps, M. Charest en est cependant venu à la conclusion que la convergence des intérêts canadiens et québécois avait ses limites. Pour résister à la tendance naturellement centralisatrice du fédéralisme, le Québec devait établir un rapport de force, quitte à donner quelques munitions au camp souverainiste.
À l’approche d’une élection fédérale, M. Charest avait pris l’habitude d’adresser aux différents chefs de parti une lettre dans laquelle il dressait une liste de revendications. Il est vrai que la quasi-totalité de ces demandes sont restées lettre morte, mais cela envoyait à tout le moins le message que le Québec n’était pas une vulgaire carpette. Pour M. Couillard, il n’est peut-être pas trop tard pour commencer à rédiger un brouillon.
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