Seulement 43 % des Américains blancs ont voté pour le nouveau président, contre 95 % des Américains noirs. C'est peu? Je vous laisse juge. Disons d'abord que la majorité des blancs vote traditionnellement pour les républicains. «Voilà le Sud perdu pour une génération», avait déclaré le président démocrate texan Lyndon B. Johnson, le jour où il a signé la loi-phare garantissant aux Noirs leurs droits civiques, notamment ce droit effectif de voter que les autorités blanches du Sud tentaient par mille moyens de leur retirer. Johnson savait que les blancs conservateurs du Sud, massivement démocrates jusque-là, se sentiraient trahis et se tourneraient vers les républicains. Il avait raison, mais avait mal jugé l'ampleur du mal. Il y a maintenant deux générations que la majorité blanche sudiste tourne le dos aux démocrates.
Alors, quel est «l'effet Obama», dans la distribution du vote racial? À 43 % mardi dernier, sur l'ensemble des États-Unis, le candidat noir a obtenu 2 % de votes blancs de plus que John Kerry en 2004, 1 % de plus qu'Al Gore en 2000 et le même niveau que Bill Clinton en 1996.
C'est donc dire que le premier candidat présidentiel noir, loin d'avoir repoussé l'électorat blanc, en a attiré davantage que ses deux prédécesseurs démocrates. C'est vrai en pourcentage, c'est encore plus vrai en chiffres absolus, car le niveau de participation a augmenté.
En détail et par rapport à Kerry, Obama a fait mieux: chez les femmes blanches (+2 %) ; chez les hommes blancs (+4 %); chez les Blancs qui ont une éducation postsecondaire (+11 %).
Mais le Sud? L'ancienne confédération? Le paysage y est plus contrasté. En descendant la côte est, Obama a triomphé en Virginie, siège de la capitale des anciens États sécessionnistes. Il y a augmenté de 7 % le vote blanc démocrate, le portant à 39 %. Mais cela est surtout dû aux professionnels qui peuplent la banlieue sud de Washington. On voit mieux le comportement des «vrais Virginiens», comme les avait diplomatiquement désignés Sarah Palin, lorsque l'on observe la Virginie occidentale, non polluée par les Yuppies de Washington. Le vote blanc pro-Kerry était en 2004 de 42 %, celui d'Obama de 41 %. Rien de grave. En Caroline du Nord, le président élu peut sabler le champagne: il a tiré huit points de pourcentage de plus chez les Blancs, à 35 %, ce qui est un bond considérable. En Caroline du Sud, il n'a pris que quatre points de plus, mais il pousse la proportion de 22 à 26 %, donc on voit que la barre est bien bas. En Géorgie: calme plat. Le plus-blanc-que-blanc Kerry avait eu 23 % du vote blanc, Obama aussi. D'autres anciens États confédérés n'ont pas bronché devant l'arrivée d'Obama: au Texas, au Tennessee, en Floride, Kerry et Obama ont fait scores égaux.
Mais vers le «Sud profond», en Alabama, la position d'Obama se dégrade. Il perd dix points par rapport à Kerry. Le vote démocrate blanc, déjà malingre à 19 %, chute à 10 %. Une misère. Au Mississippi, l'affaissement est moins cruel, mais il choit aussi, passant de 13 à 10 %. En Arkansas, il perd six points, à 30 %. En Louisiane, finalement, c'est la chute libre. Kerry avait eu 24 %, Obama n'a que 14, dans cet État pourtant abandonné par les républicains avant, pendant et après l'ouragan Katrina.
Pris tous ensemble, les Blancs de l'ancienne confédération sudiste ont augmenté d'un maigre 0,2 %, mais augmenté tout de même, le vote démocrate. Le mur du refus circonscrit un Sud conservateur -- Alabama, Mississippi, Arkansas, Louisiane -- dans lequel Obama avait la double tare d'être démocrate et noir. On ne le lui a pas pardonné. Cela illustre combien sa victoire n'est pas partout en Amérique le début de la fin du racisme, mais, dans ces quatre États, pas même la fin du début.
Le contraste est d'ailleurs frappant avec l'attitude des habitants du Midwest, le coeur du pays, loin des côtes, de ses dépravations et de ses dérives, peuplé plutôt de ces «small towns hard-working Americans» dont McCain et Palin ont chanté les louanges et se sont fait les représentants. Que l'on juge des progrès d'Obama dans le vote blanc: Minnesota (+3), Idaho, Dakota du Sud, Wisconsin (+4), Kansas, Montana, Nebraska (+6), Utah, Dakota du Nord, Wyoming (+7), la palme revenant à l'Indiana (+11).
C'est là, plus que dans le Nord-Est ou sur la côte ouest où Obama a dominé, que deux questions des sondages de sortie des urnes ont éloquemment parlé. Ils ont indiqué que parmi ceux qui croyaient importante la question de la couleur de la peau d'Obama, ce facteur les a plutôt portés à voter pour lui. Et parmi ceux qui ne voyaient pas dans l'élection d'enjeu racial, il a également tiré les votes vers lui. Bref, au total et malgré l'aversion provoquée dans le vieux sud, la question raciale a joué plutôt pour lui et non contre lui.
Même dans l'Amérique religieuse, Obama a attiré les ouailles, peut-être à cause du caractère un peu messianique de sa personne, de la qualité de son éloquence aux cadences de preacher ou parce qu'une publicité électorale républicaine l'a ironiquement comparé à Moïse ouvrant la mer Rouge. Bref, il a non seulement tiré vers lui davantage d'évangélistes blancs que Kerry (+3 %), de catholiques blancs (+4 %) et de juifs (+4 %). Mais a réussi le tour de force d'accumuler davantage de fidèles qui vont à l'église chaque semaine (+8 %) et davantage d'infidèles qui n'y mettent jamais les pieds (+5 %).
La déception: le vote des jeunes, qui n'a pas augmenté significativement. Mais à l'intérieur de ce groupe des moins de 30 ans, Obama a poussé l'avantage (+16 % par rapport à Kerry). McCain s'est contenté des aînés (+1 % par rapport à Bush).
Avoir la jeunesse de son côté est évidemment un atout, pour qui souhaite briguer un second mandat. D'autant qu'Obama a très largement dominé parmi les électeurs qui votaient pour la première fois et qui constituaient 11 % de l'électorat. Dans ce groupe, 68 % ont voté pour lui.
Évidemment, les grandes sources de victoire d'Obama se trouvent à l'extérieur de la majorité blanche. Il a fait exploser le niveau d'appui démocrate chez les latinos (de 53 % pour Kerry à 66 % pour Obama, dans un groupe qui représente 8 % de l'électorat). Puis, et peut-être surtout, il a fait augmenter le poids relatif du vote noir dans l'ensemble de l'électorat (passé de 11 à 13 % de l'ensemble). À l'intérieur de ce groupe maintenant plus lourd, il a poussé son avantage, faisant passer le vote démocrate de 88 % sous Kerry à 95 % selon les sondages de sortie des urnes. Une proportion à l'albanaise jugée sous-estimée par la firme Gallup, qui affirme de son côté que la vraie proportion est de, tenez-vous bien, 99 %.
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Jean-François Lisée, L'auteur est directeur exécutif du Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal. Il vient de publier Pour une gauche efficace aux éditions du Boréal.
Le président noir et l'Amérique blanche
Présidentielle étatsunienne
Jean-François Lisée297 articles
Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.
Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québ...
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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.
Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.
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