L'argent fait-il le vote?

Présidentielle étatsunienne



Ils ont rejeté l'argent des lobbies et des grandes entreprises. Dénoncé la corruption et la politique de Washington. Cherché à incarner des citoyens ordinaires, symboles du rêve américain.
Pourtant, les candidats à la présidence n'auront jamais autant dépensé qu'en cette année 2008, ce qui a marqué un véritable tournant dans la démesure du financement électoral: près de 5,3 milliards de dollars seront investis dans le cadre des campagnes fédérales du 4 novembre, dont plus d'un milliard pour les seuls candidats à l'élection présidentielle. Et la majorité des fonds destinés aux deux candidats (jusqu'aux trois quarts pour Barack Obama) proviennent de gros donateurs, notamment de sociétés financières (assurances, investissements, placements) dont certaines (comme Lehman Brothers et Bear Stearns) ont été impliquées dans la débâcle économique actuelle, d'entreprises pétrolières ou de courtiers en placements à risque (pour John McCain), de firmes d'avocats ou de l'industrie du spectacle (pour Barack Obama).
Certains donateurs veulent influer sur l'élection, d'autres souhaitent influencer la présidence. Les premiers parviendront peut-être à leur fin. Quant aux seconds, s'ils ont l'oreille du président, ils se heurteront aux méandres du système décisionnel américain.
L'argent permet-il de gagner l'élection?
Le coût des élections n'a cessé d'augmenter depuis les années 1960: le chemin vers la Maison-Blanche est de plus en plus long et les techniques de campagne sont de plus en plus coûteuses. Sondeurs, publicitaires, analystes, lobbyistes, webmestres, tel est le prix de la révolution technologique.
Les stratèges électoraux le savent: celui des candidats qui dépense le plus durant la campagne gagne - en général - l'élection. Même s'il existe des contre-exemples (Mitt Romney et Hillary Clinton durant le cycle des primaires, comme avant eux Ross Perot ou Steve Forbes à l'élection présidentielle), il reste que, selon le professeur Stephen Wayne, 21 fois sur 29, entre 1860 et 1972, le gagnant avait dépensé plus que son concurrent.
Or, faute de disposer d'un financement adéquat lorsque son investiture a été acquise dans les faits, à la fin du printemps, John McCain a été contraint d'accepter le financement public, ce qui le dote de 84 millions de dollars en fonds publics mais limite d'autant les dépenses qu'il peut faire. Barack Obama a, quant à lui, pulvérisé les records existants en recueillant, pour le seul mois de septembre, 150 millions de dollars et en dépensant près de 87 millions dans le même temps, soit l'équivalent de ce que John McCain était autorisé à débourser des débuts de la campagne générale en septembre jusqu'au 4 novembre.
La disproportion est manifeste. Toutefois, dans une élection où Barack Obama noie la campagne publicitaire de John McCain dans une proportion de huit pour un et fait campagne sur l'ensemble du territoire américain, l'écart des intentions de vote, bien qu'important, ne reflète pas pleinement ce décalage. Reste à voir s'il trouvera une traduction le jour du vote.
La Maison-Blanche est-elle à vendre?
De part et d'autre de l'échiquier politique, de la même manière que de richissimes individus comme George Soros, Steven Bing ou Sheldon Adelson investissent personnellement, des groupes d'influence (féministes comme Emily's List, la National Federation of Republican Woman, sociaux comme Last Chance for Patient Choice, partisans comme Grassroots Democrats, College Republicans, écologistes comme le Sierra Club, religieux comme Matthew 25 ou Faith in Public Life) cherchent à orienter le cours de l'Histoire.
Voilà près de 35 ans que, dans la foulée du Watergate, le Congrès cherche à moraliser la vie politique. En vain. Les partis offrent aux donateurs un accès privilégié aux numéros privés des ministres et des présidents de commissions parlementaires. Les plus gros contributeurs bénéficient de «faveurs»: voyages à bord de Air Force One, nuits dans la chambre Lincoln à la Maison-Blanche, participation à une mission commerciale à l'étranger.
À la suite du drame politico-judiciaire de 2000, devant l'opacité du système électoral américain et compte tenu des dépenses pharaoniques des candidats, les accusations de complot ne pouvaient donc que proliférer: la droite religieuse, les néoconservateurs, le complexe militaro-industriel, le complexe pétrolier, les syndicats, le lobby juif, les grandes entreprises seraient-ils en mesure de prendre la Maison-Blanche en otage? Ils auront peut-être l'oreille du prochain président, mais ils ne tiendront pas le gouvernail du pays.
Finances et politiques
Compte tenu de l'agencement tentaculaire de la structure administrative américaine, de l'absence de principe hiérarchique qui fédérerait toutes les agences derrière un seul intérêt et de l'organisation du système politique en forme de poids et contrepoids, la formulation de la politique aux États-Unis est le fruit d'un mouvement perpétuel défini par un grand nombre de facteurs.
De la même manière qu'il est malaisé de prédire les orientations de la politique américaine, il est difficile pour un seul groupe, de surcroît rarement monolithique, de monopoliser l'ordre du jour de la Maison-Blanche.
Au demeurant, le cocktail réunissant finances et politique n'a pas que des effets sournois: en effet, la loi McCain-Feingold de 2002 a, tout en limitant le financement des partis, également interdit les activités partisanes (et notamment la publicité négative) dans les semaines avant l'élection générale.
Du coup, les activités de terrain destinées à «faire sortir le vote» en bénéficient directement. Ce qui explique en partie la hausse régulière et substantielle du taux de participation depuis 2004: si la démocratie américaine souffre du manque d'encadrement du financement des campagnes électorales, elle bénéficie au moins d'une participation plus importante de ses citoyens.
Élisabeth Vallet : Docteure, chercheure à l'Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM et auteure de Le Duel - Les dessous de l'élection présidentielle américaine (Septentrion, 2008)


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