Pour défendre le point de vue des « loyaux », j’ai retenu l’allocution
qu’a prononcée Henry Driscoll en mai 1838 lors d’un banquet offert pour
souligner le départ de Colborne à Québec. Outre Driscoll, officier dans le
2ième bataillon des milices volontaires à Montréal (quartier est), P.
McGill, J. S. McCord et A. Thom y ont aussi pris la parole. L’allocution a
été reproduite dans le Montreal Herald and Daily Commercial Gazette qu’on
retrouve dans une abondante revue de presse à la Rare Books Division de
l’Université McGill.
Il serait souhaitable qu’un éditeur québécois publie
la traduction des meilleurs articles de ce journal. Curieusement, tous les
exemplaires de la période 1834-1841 ont longtemps été introuvables en
Amérique du Nord, comme si l’on avait voulu effacer les traces
compromettantes d’un crime parfait.
François Deschamps
***
Proposition de Samuel Gerrard, appuyée par maître Driscoll, conseiller de
la Reine.
« Que nous devons à la prévoyance, au jugement et au caractère décidé de
son Excellence, chef des forces armées de Sa Majesté en cette partie de
l’Empire de la préservation - sous le regard de la Providence – de tout ce
qui nous tient à cœur : nos vies, nos libertés, nos foyers, nos autels,
notre bonheur et notre paix, que menaçait de détruire la récente
insurrection immotivée. »
Maître Driscoll (C. R.) a dit qu’en appuyant cette proposition, il
s’acquittait d’un geste superflu envers ceux à qui il avait l’honneur de
s’adresser, car, bien que cette proposition énonçait une vérité que tous
ceux présents connaissaient, il importait de faire savoir à ceux qui vivent
au loin quels périls nous avons connus et celui qui nous a guidés à travers
ces tribulations, tel que le relate la proposition. Nous connaissons tous,
et devons faire connaître au peuple de Grande-Bretagne, la situation qui
prévalait dans cette province lorsque les événements ont placé Sir John
Colborne au premier plan.
Une politique de conciliation, poursuivie avec les meilleures
intentions, avait produit les résultats les plus funestes. Dévoyés par des
démagogues intrigants, les Canadiens-Français – attribuant à la peur ce qui
procédait de la générosité – se sont imaginé qu’ils en imposaient au
Ministère et à l’État britanniques et ont préparé une révolte qu’ils
espéraient – en vain – mener à bien. Ils avaient divisé le pays en
arrondissements, chacun doté d’un Comité en correspondance avec le Comité
Central ici à Montréal ; s’étaient pourvus d’armes et de munitions et ne
semblaient nullement manquer de ressources en argent ; leurs meneurs
avaient prononcé et continuaient de déclamer les harangues les plus
incendiaires au portail des églises le jour du sabbat ; leurs journaux
avaient contenu et continuaient de contenir, à peine voilés, des appels à
la rébellion ; - que dis-je ! - ils avaient poussé l’audace au point qu’une
de leurs associations s’intitulant « les fils de la liberté », dont les
membres portaient sur eux des armes, paradaient en plein jour dans les rues
; quelques centaines de mécontents avaient pris l’habitude de faire à la
vue de tous des exercices militaires sur une butte, d’où un canon à bout
portant pouvait atteindre la ville et sa garnison.
Pour couronner le tout, le clergé semblait avoir perdu son influence ;
on se moquait des seigneurs ; on avait, à plusieurs endroits hissé le
drapeau tricolore ; à Saint-Charles, surmontant un autel sur lequel
plusieurs centaines s’étaient engagés à se révolter, on avait sculpté le
bonnet phrygien de la liberté ; tout présageait la réitération voulue des
scènes sanguinaires de la Révolution française.
Jusque-là, le commandant en chef s’était tenu en retrait, attentif
certes au cours des événements, mais ne s’ingérant pas, en apparence, dans
les affaires du gouvernement civil. Toutefois, lorsqu’il est devenu patent
qu’une révolte était imminente, il s’est installé au cœur même de
l’agitation, a fait froidement ses préparatifs et a attendu de pied ferme
la tempête sur le point d’éclater.
Sa position n’était pas encourageante ; le district, où presque tous
avaient fait défection et où l’on dénombrait 240,000 Canadiens-Français,
pouvait équiper une armée de 30,000 hommes ; les loyaux, en comparaison,
assez peu nombreux, étaient entourés par une population hostile – ici même,
à Montréal, les déloyaux formaient la grande majorité, il n’y avait qu’une
poignée de troupes régulières et, en cette saison de l’année, on ne pouvait
y apporter des renforts de la province sœur que par un chemin pénible, ardu
et désert. En résumé, l’état défavorable aux manœuvres et aux mouvements
des troupes, de la météo et des routes était précisément celui qu’aurait
souhaité une paysannerie insurgée se proposant de s’opposer à une force
disciplinée.
Le premier acte des hostilités a semblé plein de promesse aux insurgés,
dont un détachement a attaqué près de Longueuil une petite troupe de
cavalerie de franc tenanciers, alors qu’elle ramenait en ville deux des
meneurs rebelles arrêtés sous le chef de haute trahison : le détachement
les fit battre précipitamment en retraite, puis libéra les prisonniers. Il
est vrai que l’avantage du nombre, la position et la nature du terrain
avaient favorisé l’assaillant aux dépens de l’assailli ; mais le grand
objectif des chefs rebelles était atteint : ayant montré à la paysannerie
qu’il est des circonstances où une force armée indisciplinée peut avoir le
dessus, celle-ci, désormais, s’étant engagée, ne pouvait plus se retirer.
La flamme de la guerre ayant été ainsi attisée, les chefs n’espéraient plus
qu’elle gagne rapidement la matière qu’ils avaient rendu si inflammable. Et
en cela, ils ne se sont pas trompés : l’allumage a été instantanné, mais
c’est à Saint-Denis que la flamme s’est élevée au point qu’il est devenu
nécessaire de l’éteindre.
Là aussi les rebelles ont été victorieux contre une expédition conduite,
certes, avec courage, mais sans la prudente attention aux détails qui
n’aurait pas fait défaut si l’on s’était attendu à pareille résistance. Les
effets de cette déconvenue ne se sont pas limités aux seules pertes
encourues, à cette occasion, des effectifs : ses résultats sur le moral ont
été considérables et promettaient d’être dévastateurs.
À Longueuil, une force de volontaires avait été dissipée ; à
Saint-Denis, des troupes régulières de l’Armée britannique, disciplinées au
plus haut point et commandées par des officiers courageux et expérimentés,
ont été repoussées et forcées de battre en retraite avec des pertes
humaines considérables et – chose inhabituelle pour une force britannique –
la perte d’un canon.
L’effet fut électrisant : tous les rebelles sont devenus animés et
confiants ; on a observé chez eux une effervescence générale ; une foule
d’aventuriers étrangers, assoiffés de rapine, se sont massés aux frontières
; les loyaux sont devenus anxieux ; toute l’attention de la province s’est
avidement portée sur l’expédition dont le succès ou l’échec déterminerait
l’issue du conflit, semblait-on convenir, du moins jusqu’au printemps ; car
si elle échouait, l’insurrection se serait généralisée et cette ville,
soutenue par ses habitants rebelles (qui dépassent en nombre les loyaux)
aurait été encerclée par un ennemi trop nombreux pour être attaqué : la
famine, l’assaut, le feu et l’assassinat auraient, pour un temps, éteint le
nom de Britannique dans ce pays (acclamation).
Mais quel sort était réservé à cette expédition, privée du support qu’on
avait envoyé à Saint-Denis ? Aucun loyaliste à Montréal ne le savait. Le
Commandant en chef dépêchait l’un après l’autre messagers et agents de
liaison qui, ou bien se faisaient capturer, ou bien revenaient bredouille ;
la marée d’une population hostile encerclant cette expédition nous l’avait
dérobée du regard et l’on ne pouvait supposer son itinéraire que d’après
les fusées nocturnes de l’ennemi d’autant plus impressionnantes qu’elles
dénotaient chez lui vigilance et organisation, ainsi que la présence dans
leur camp d’officiers étrangers, tel que rapporté par les services de
renseignements.
Maintenant, déplaçons nos regards de la scène d’un intérêt plus immédiat
et embrassons l’ensemble du tableau pour examiner la position de Sir John.
Tout le Richelieu en armes, une armée rebelle considérable à la frontière,
attendant des renforts au prochain succès ; les basses classes des
Etats-Unis en état de fermentation, prêtes à rallier les insurgés dès que
la fortune de la guerre leur sourirait, forçant ainsi peut-être ou
entraînant leur propre gouvernement dans cette guerre ; tout le pays entre
le Richelieu et le Saint-Laurent occupé par les rebelles ; les chemins dans
un état tel – avec les glaces qui se formaient si tôt – que les
communications avec Montréal menaçaient d’être interrompues, laissant à
l’ennemi un intervalle de six semaines au moins pour compléter son
organisation sans être inquiété, après quoi la neige et la glace leur
fourniraient de faciles moyens de se concentrer avec célérité : une armée
rebelle au nord qu’on disait plus formidable que les autres – le reste de
la colonie prêt à se soulever – la saison de la navigation terminée – les
communications de l’ennemi étant libres, actives et amples, tandis que les
nôtres étaient intermittentes ou gênées – les rebelles enhardis par une
victoire inespérée, les loyaux abattus par un désastre inattendu - le Haut
Canada présentant les symptômes de cette conspiration qui éclatera peu
après – la tentative enfin à laquelle nous nous attendions, ici, à
Montréal, d’une explosion et d’un massacre nocturne dont les suites, en cas
de succès, pouvaient se déduire de la sauvage boucherie du Lieutenant Weir
et de l’assassinat de sang-froid de Chartrand (ovation).
Pour s’opposer à tout ceci, notre Commandant en chef ne pouvait compter
que sur la victoire possible de l’expédition suicide d’une poignée de
troupes régulières et d’une petite armée de braves et de loyaux volontaires
– quoique sans discipline ; mais il avait le recours de son sentiment
religieux, de son cœur impavide et de la fermeté de son caractère. Au cœur
de la tourmente, il s’est avéré intrépide ; calme au milieu de l’excitation
et, cerné par les difficultés, il en a fait le tour d’un regard aigu et
pénétrant qui lui a permis de discerner le moindre moyen de tourner
l’obstacle ; il s’est trouvé si en possession de tous ses moyens que la
maîtrise de l’ensemble des opérations n’a nullement détourné son attention
du moindre détail de l’organisation. Il ne refusait d’audience à personne,
lors même que les intérêts britanniques étaient dans la balance. Pareilles
qualités ne pouvaient manquer de lui assurer la victoire : celle de diriger
des soldats britanniques, aussi peu nombreux fussent-ils, soutenu par cette
loyauté qui a brillé ici d’un tel éclat et pour une si juste cause.
L’expédition qu’on croyait perdue frappa un coup terrible au cœur de
l’ennemi. Qu’il me suffise de dire « Wetherall !», « Saint-Charles !»
(ovation).
De ce jour, la cause de la Royauté a prospéré ; au moyen de sages
dispositions et par l’énergie combinée à la prudence, l’armée du nord a été
éparpillée aux quatre vents avec des pertes minimes pour le vainqueur ; là
où l’hydre de la rébellion montrait la tête, on l’écrasait et la bête
elle-même, finalement, fut étranglée, si bien que des ténèbres
oppressantes, nous nous sommes élevés à la lumière victorieuse du soleil.
Il est vrai que dans tout ceci son Excellence a été au plus haut point
épaulée par l’ardente loyauté des membres de cette partie de la population
en provenance de Grande-Bretagne ou des Etats-Unis, lesquels, du premier
jusqu’au dernier, ont décidé de combattre jusqu’au bout pour défendre leur
foyer et leur nom d’Anglo-Saxons et, dussent-il périr, tomber au pied de
leurs autels ; mais l’on doit rappeler que, s’ils ont fourni le matériau,
son Excellence leur a donné la forme, les ordres et l’efficace.
Sachant donc ceci, comme nous le savons – et l’ayant entendu de nous,
comme l’entendront ceux qui vivent au loin – ne sommes-nous pas justifiés
de le déclarer par cette Proposition que j’ai l’honneur d’appuyer ?
(applaudissements nourris).
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --
Rébellion 1837-1838
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