Il est étonnant après des décennies de débat politique que nous en soyons là. Il serait enfin temps de faire un petit abécédaire de l'analyse politique. Le premier point à retenir est qu'il est presque d'aucun intérêt de dire qu'un modèle fonctionne. Un modèle érige ses propres règles et marche selon elle. Pour comprendre jusqu'à quel point un modèle marche, il faut savoir ce qui échappe au modèle et non pas savoir si le modèle est cohérent avec ses règles exclusives.
Dans un récent reportage à Radio-Canada, des immigrants prêtaient serment d'allégeance au Canada. Au préalable un juge portant la toge leur disait que le Canada avait été fondé par les immigrants et les premières nations. Dans ce modèle, la condition immigrante semble toucher les natifs du pays. Être Canadien c'est être immigrant avec ce que cela comporte. Un immigrant doit être prêt à s'adapter, à changer de culture s'il le faut car il sait que sa postérité vraisemblablement ne s'exprimera pas dans sa langue et ne participera pas de sa culture d'origine. À cet égard le Québécois qui va s'établir en Alberta accepte un destin qui est aussi celui du Kurde et du Bengali.
Même dans l'hypothèse d'une reconnaissance de la nation québécoise, comme soudainement Michael Ignatieff semble le vouloir, le Québec reste toujours aussi absent du modèle. On en revient à des « premiers immigrants » qui ont échafaudé une expérience originale,
intrinsèquement liée au destin du Canada provincial et qui augure la venue des autres diasporas au pays. La donne n'est pas changée du tout.
Les fédéralistes se refusent catégoriquement à admettre que le système canadien tient toute sa cohérence d'un point aveugle. La démission intellectuelle des fédéralistes est hallucinante à cet égard. Alain Dubuc va jusqu'à stipuler qu'un Québec, avec une plus grande classe de riches, va changer le rapport de forces. On n'a pas le droit de se plaindre car le rapport de forces appartient aux riches et que les Québécois tiennent beaucoup de leur condition actuelle à leur dédain de la richesse.
Est-ce à dire que si plus de Québécois payaient des impôts, le Canada tirerait des conclusions puissantes en sa faveur et lui donnerait de plein gré un statut de nation? Non car le modèle d'Etat-Nation est réactionnaire selon eux. On critique le modèle d'Etat-Nation comme étant périmé. On s'attendrait alors à ce que les penseurs fédéralistes, s'il y en a, essaient de penser un espace pour une nation sans Etat. Ils proposeraient au moins quelque chose. L'intervention de Boisclair la semaine dernière visait à faire comprendre combien les fédéralistes n'ont rien dans les mains à part leur pouvoir de restriction.
Les fédéralistes se contentent de répéter que le système fonctionne, ce qui signifie que tous les facteurs reconnus sont contrôlés, guère plus. Le penseur fédéraliste passe par-dessus tout ça depuis des décennies en répétant : le Canada ne prend rien si ce n'est pour donner plus!
Selon les catégories qu'accepte un modèle, il est décidé quelle injustice pourra être vue. C'est pour cela qu'il ne suffit pas de se déclarer en régime de droits pour se dire satisfait. En dehors de l'Etat-Nation, comment veut-on déterminer les injustices touchant une nation annexée? Il n'y a pas de barème possible. Être le maître collectif de ses décisions n'est pas un droit reconnu pour celui qui n'a pas d'Etat-Nation.
C'est bien beau écrire « l'Etat-Nation est un modèle périmé ». Il n'y a pas d'entre-deux. Ou vous avez un Etat-Nation ou vous n'avez plus que la débrouillardise personnelle. Le problème est initial et il reste le même que vous soyez au XIX ème siècle ou au XXI ème.
Cessons de dire que l'Etat-Nation est périmé. Pour les Québécois le choix se pose entre l'Etat-Nation et diverses formules de silence.
Si on fait l'éloge de la richesse, comme Alain Dubuc, on peut toujours rétorquer que le silence est d'or! La condition provinciale, c'est un silence forcé. Dans le cade provincial, dans le meilleur des cas, la nation québécoise pourra tout au plus être une convention sur le sens des mots. Sans Etat-nation, le Québec n'existe pas selon des règles de comportement national. Il est prédéterminée par des conditions d'existence pratiques provinciales. Inutile d'espérer dans une formule de l'être qui compenserait. L'essence sans l'existence, c'est la mort, dira le philosophe.
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Maintenant, si le lecteur le permet, revenons à nos histoires internes d'indépendantistes. Il y a des partisans qui sont pour le référendum. Certains verraient le référendum à la fin d'un processus d'affirmation nationale. Et puis vous avez ceux qui sont contre un référendum. J'écrivais en substance dans une chronique que si un référendum ne débouche que sur le bon vouloir du Canada il n'y avait plus de choix. Tous les indépendantistes s'entendent en tout cas sur le fait que l'Etat canadien s'est moralement disqualifié comme chercheur d'un dénouement heureux au problème de notre affirmation nationale.
Le problème dans ce débat sur les modèles d'accession à l'indépendance, ce n'est pas que les tenants de différentes thèses sont stupides. C'est que chaque thèse répond bien à une gamme de problèmes mais en ignore certains. Ceux qui veulent un référendum allèguent que les responsabilités qui sont dans le giron canadien ne peuvent être assumées qu'en respectant une formule de transition d'Etat à Etat. Par exemple, si l'Etat québécois n'avait aucune liste pour l'administration des pensions, il se mettrait de lui-même en déficit de souveraineté par rapport à la responsabilité qu'il veut assumer.
Puis vous avez ceux qui s'opposent au référendum. Pour eux, l'idée même de s'attendre à se voir accorder par l'Etat canadien un statut de gouvernement national à la suite d'un référendum, c'est admettre un paquet de clauses implicites qui invalident le processus. On veut forcer une approbation d'Ottawa. Cela revient, toujours selon eux, à convenir que l'Assemblée nationale n'est pas effective et n'est qu'un représentant alternatif.
Les tenants de ces thèses n'ont pas tort à l'intérieur de leur modèle. Le problème, en fait, c'est que l'on se retrouve depuis très longtemps face à des indépendantistes qui défendent des points de vue opposés tout en ayant chacun passablement raison. N'importe quel lecteur assidu de la pensée indépendantiste peut apprécier le phénomène.
On s'accuse, on blâme le chef d'avoir tranché pour une position officielle contre celle qui, par déduction, est anti-officielle. Et parmi les partisans du référendum, vous avez les partisans des conditions gagnantes et ceux qui veulent un échéancier précis. Toujours il y a du pour et du contre. Si on attend les conditions gagnantes, on s'enlise. On devient une police d'assurance. La nation québécoise reste dans la manche, telle une scène alternative.
Si on se fixe un échéancier précis, on a moins l'air de tenir une main dans son dos. Ce simple geste a de quoi décourager la confiance, il faut l'admettre. Cependant en envoyant les « conditions gagnantes » au poubelle, on commet un oubli par rapport à notre expérience militante.
Jacques Parizeau se faisait accuser de courir une course perdue d'avance. Il s'en est tenu à son échéancier mais voyant l'appui insuffisant en faveur de la souveraineté, il a nommé Lucien Bouchard comme négociateur en chef advenant une victoire. Tout en ayant le plus haut respect pour l'opiniâtreté de Jacques Parizeau, il faut se demander si cet exemple d'échéancier auquel on a tenu mordicus est probant.
Ceux qui ont lancé l'idée d'une Constitution initiale avaient pour principe que le Québec ne créerait pas de conditions gagnantes en partant comme un acteur provincial de seconde zone. La Constitution initiale devait aider à positionner le Québec comme nation et anticiper la légitimité internationale future. Jusqu'à présent, le bilan de l'affirmation nationale du Québec est plutôt mince. Elle se borne à la déclaration de Bourassa au lendemain de l'échec du lac Meech, un parlement provincial qui se déclare assemblée nationale, quelques fissures à la surface en somme.
Une Constitution initiale se voulait le signe qui traduirait une pression sociale afin que ce ne soit pas seulement le Canada qui se voit de l'extérieur et qui définisse les références légitimes. Mais peu de choses sont bonnes en soi en politique canadienne. Il faut tout comprendre comme signe dans une environnement dont bien des interprétations sont téléguidées en faveur de la puissante société canadienne. Si la Constitution initiale parvenait à définir la nation québécoise comme auto-existante plutôt que comme simple élément appartenant à la mosaique, cela aurait un côté spectaculaire certes. Mais tout spectacle peut apprendre à marcher la tête en bas. Si cette Constitution initiale devenait comme le titre d'Assemblée nationale coiffant notre parlement un symbole plutôt qu'une référence guidant notre conduite extérieure?
Donc, quoi penser? On peut se consoler momentanément avec la phrase de Gide : « Je ne prétends pas, certes, que la neutralité (j'allais dire : l'indécision) soit signe sûr d'une grand esprit : mais je crois que beaucoup de grands esprits ont beaucoup répugné à... conclure et que bien poser un problème n'est pas le supposer d'avance résolu. » Les points de vue s'opposent sur la marche vers l'indépendance sans jamais entrer en collision. Chaque ligne de pensée a son potentiel de création, ses équipes fidèles, abordant de front certaines données et évitant avec soin ses points plus faibles. Chacun accuse l'autre de nuire à la cause. Le lecteur perspicace sait quelles considérations sont tues dans un modèle et puis dans l'autre.
Pendant ce temps le seul modèle qui impose sa suite rigoureuse c'est le modèle canadien lui-même, non pas parce qu'il est plus logique ou qu'il fonctionne mieux : simplement parce qu'il est le seul qui existe. Être fédéraliste, c'est affirmer le droit prépondérant de ce qui existe déjà et exclure le reste. Si en plus vous recevez un gros salaire, tous les ingrédients sont combinés pour vous dire « réaliste ».
André Savard
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