Le parti bouc émissaire des indépendantistes

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Les divisions du camp souverainiste sont réelles : rien n'indique qu'elles se résorberont avec la mort du PQ


Dans La violence et le sacré, René Girard nous explique que la communauté « accablée par quelque désastre auquel elle est incapable de remédier se jette volontiers dans une chasse aveugle au bouc émissaire ». Il renchérit en affirmant : « Les hommes veulent se convaincre que leurs maux relèvent d’un responsable unique dont il sera facile de se débarrasser. » Voilà peut-être la logique qui dirige l’action et la pensée d’une partie de la communauté indépendantiste aujourd’hui. Si on ne trouve pas de solution à l’affaiblissement du mouvement indépendantiste, on trouve cependant un responsable. Après la défaite de 1995, le bouc émissaire tout désigné, c’est le PQ.


Le bouc émissaire est généralement celui sur qui on transfère toutes les responsabilités, celui qui est coupable même de ce qui ne relève pas de lui. Les OUI Québec proposent une feuille de route commune sur l’indépendance, elle est rejetée par QS, la faute en revient au PQ. Si la logique du bouc émissaire est respectée par l’attitude de QS, ce parti a cependant fait apparaître au grand jour le véritable problème du mouvement. Il s’explique par l’attitude des idéologues, qui constituent une part non négligeable de la communauté indépendantiste. L’idéologue est celui qui vit dans un monde d’idées sans jamais vouloir confronter celles-ci à la réalité. S’il est constamment dans la vertu affirmant vouloir fédérer, coaliser et unir, ces voeux pieux tiennent dans la mesure où ses idées ne sont jamais remises en question.


En effet, les idéologues ont cette fâcheuse tendance à concevoir le compromis comme une compromission, de sorte que l’indépendance devient possible pour autant qu’elle soit de gauche écologiste et ouverte à la diversité. Pour d’autres, elle est conditionnée à la laïcité de l’État et à la création de richesse. Pour cette absence de consensus sur la voie à suivre pour réaliser l’indépendance, il faut trouver un fautif et celui qui cherche le compromis devient tout désigné puisqu’on n’y parvient jamais. Le bouc émissaire a ceci de réconfortant pour l’idéologue qu’il lui permet de se dégager de ses responsabilités; si ses actions se soldent par l’effritement du mouvement, il pourra toujours dire que ce n’est pas de sa faute.


Sûr de lui-même, l’idéologue ne doute jamais, il détient la voie à suivre, les autres n’ont qu’à se soumettre ou disparaître. En ce sens, l’idéologue manque cruellement d’humilité puisqu’il se voit, sans l’admettre, comme un sauveur. De la sorte, il peut affirmer sans sourciller qu’il faut unir le mouvement tout en contribuant à le diviser par des gestes de rupture. Ici, l’idéologue se transforme en opportuniste en répétant haut et fort que le mouvement doit cesser de compter sur un sauveur; il ne voit pas qu’il se considère lui-même comme ce sauveur.


Utilisant une situation de crise comme une occasion de reconnaissance, l’idéologue opportuniste désire être à l’avant-garde, il désire être celui ou celle par qui passera la refondation du mouvement. La recherche de compromis et le travail interne qui se fait dans l’anonymat ne sont pas suffisants, il faut être au-devant de la tribune médiatique et, pour y être, quoi de mieux que d’utiliser le bouc émissaire comme marchepied. L’idéologue se permet pour l’occasion de parler au nom d’une génération, il est même prêt, pour servir son propos, à effacer le rôle historique du bouc émissaire le dépeignant comme un perdant duquel on doit se défaire.


Cependant, sur la question décisive de savoir comment nous devons nous y prendre pour unir les indépendantistes, l’idéologue reste trop souvent muet. À ses yeux, la recherche d’un compromis impliquant le bouc émissaire est inacceptable parce qu’elle rejette la faute de la faiblesse du mouvement sur l’ensemble de ceux qui le constituent. Ainsi, la reconstruction du mouvement passe inévitablement par le sacrifice du bouc émissaire. Mais, soyons honnêtes, à l’heure actuelle, si le PQ venait à disparaître, il n’y aurait pas plus de conjoncture favorable à l’union de tous les souverainistes. Les divisions que nous apercevons aujourd’hui vont réapparaître avec, comme distinction, que le PQ ne serait plus le point de chute des récriminations des uns et des autres.


Si nous ne tirons pas les leçons de ce qui a affaibli le mouvement indépendantiste et si chacun n’accepte pas sa part de responsabilité, les actions mises en place se solderont par la simple construction d’un nouveau bouc émissaire.









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