Face à la crise des blocages ferroviaires, Justin Trudeau continue à miser sur la patience et le « dialogue pacifique ». Son pari est à la fois audacieux et risqué. Audacieux, parce qu’il s’inscrit à contre-courant d’une ère dominée par l’immédiateté et des médias sociaux ultra polarisants.
Risqué, parce que faire de la « slow » politique – donner du temps au temps – permet aux adversaires, dont les conservateurs au premier chef, de crier à l’inaction béate. Or, cette crise est avant tout de nature politique. La solution devra l’être elle aussi.
Rappelons que des chefs héréditaires de la nation wet’suwet’en s’opposent au projet de gazoduc Coastal GasLink en Colombie-Britannique. Il est donc question de territoires ancestraux. À de rares exceptions près, c’est un immense problème politique toujours non résolu à travers le Canada. D’où la « solidarité » exprimée par d’autres nations autochtones, dont les Mohawks qui, à Kahnawake, ont monté une barricade.
Crise politique
Or, les Premières Nations sont soumises à la Loi sur les Indiens et à une gouvernance hybride entre « chefs héréditaires » et « conseils de bande » – ces derniers chez les Wet’suwet’en approuvent d’ailleurs le gazoduc.
Conséquemment, Justin Trudeau doit trouver une manière de « négocier » une sortie de crise répondant à plusieurs intérêts divergents. Y compris ceux du gouvernement de la Colombie-Britannique et du promoteur privé de Coastal GasLink. Le tout, sur fond du très long passif de plusieurs nations autochtones face aux gouvernements canadiens.
Bref, cette opération de résolution de conflits est d’une extrême complexité. La bonne nouvelle est que nous avons appris de la crise d’Oka de 1990. Aucun premier ministre ne veut la revivre. Incluant François Legault, malgré qu’il soit impatient de nature.
À preuve, dès le lendemain de sa remarque sur des AK-47 à Kahnawake, son député Ian Lafrenière fut d’une clarté cristalline : « Notre intention est de régler tout ça de façon positive, permanente, avec la négociation. On ne veut pas rentrer là de force. »
Phrase puissante
En cela, depuis le début de la crise, la déclaration la plus significative de Justin Trudeau est de très loin celle-ci : « On n’utilise pas l’armée contre des civils », a-t-il dit le 21 février. La phrase est d’une rare puissance. À elle seule, elle tourne la page sur certains des épisodes les moins glorieux de l’histoire canadienne, dont la crise d’Octobre de 1970 et la crise d’Oka de 1990.
Sa phrase est d’autant plus marquante que son propre père, Pierre Elliott Trudeau, avait lui-même accepté avec délectation la demande de Robert Bourassa d’envoyer l’armée au Québec pendant la crise du FLQ. Justin Trudeau ne nie sûrement pas cette partie sombre de l’héritage de son père. Sa phrase parle plutôt du présent et surtout, de l’avenir. Ce n’est pas rien.
Résultat : l’approche « patiente » se poursuit. Au moment d’écrire ces lignes, une rencontre devait enfin débuter entre la ministre fédérale Carolyn Bennett, le ministre Scott Fraser de la Colombie-Britannique et les chefs héréditaires des Wet’suwet’en. Même si ça échouait, face à un problème politique, la force ne doit jamais être une option.