Au cours des dernières semaines, deux événements provocateurs ont soulevé de sérieuses questions au sujet de la relation entre le gouvernement du Québec et la nation crie d'Eeyou Istchee (le territoire traditionnel des Cris). Un rapport indépendant commandé par Québec, et transmis à la nation crie, a blâmé Québec pour n'avoir pas respecté ses obligations envers la nation crie en adoptant, en 2001, des dispositions législatives visant à restructurer complètement la municipalité de la Baie-James.
Ces dispositions législatives ont donné le contrôle de l'administration municipale de nos terres ancestrales à des élus de municipalités non cries, situées surtout au sud et à l'extérieur d'Eeyou Istchee. Québec en a décidé ainsi, et ce, sans en informer les chefs cris, qui sont aussi les maires de ces terres communautaires cries désignées municipalités du Québec.
De plus, le projet de loi 57, déposé récemment, vient amender unilatéralement l'entente historique surnommée la «Paix des Braves» dans le but de contourner le régime d'aménagement forestier, qui a fait l'objet d'un accord entre les Cris et Québec en 1975 et en 2002. Ces événements récents placent la relation entre la nation crie et Québec à une croisée des chemins.
Développement du territoire
En 2002, la nation crie et le gouvernement du Québec ont signé la Paix des Braves. La Paix des Braves, que j'appuie sans réserve, vise d'abord à réaffirmer la relation de nation à nation entre la nation crie et le gouvernement du Québec afin de favoriser une cohabitation respectueuse dans Eeyou Istchee et de collaborer à son développement. L'entente a aussi mis fin aux litiges et aux recours en justice qui nous opposaient et rendaient plus difficile le développement mutuellement profitable du territoire. L'entente exigeait aussi, conformément à nos droits fondamentaux, le consentement des Cris à l'égard du projet Eastmain/La Sarcelle.
La Paix des Braves et l'entente importante signée avec le gouvernement du Canada en 2008 ont donné au peuple cri ce qui nous avait été promis en 1975, soit les outils nécessaires pour participer au développement de notre territoire en vue de permettre aux communautés et à notre peuple de profiter des retombées économiques. Ces ententes ont de plus rendu possible l'établissement de partenariats mutuellement bénéfiques afin de mener à bonne fin certaines de ces activités de développement. Ainsi, elles ont donné à la nation crie les ressources nécessaires pour répondre correctement à bon nombre des besoins socio-économiques essentiels de nos communautés, soit une infrastructure de base, des logements et une gamme de services sociaux, que les Québécois et autres Canadiens tiennent pour acquis, mais dont notre peuple ne profite pas.
Par ailleurs, ces ententes ont réaffirmé les principes fondamentaux sur lesquels reposent, selon nous, nos principales ententes avec les gouvernements du Québec et du Canada. Ces principes, dont le droit fondamental à l'autodétermination, sont évidents dans la Déclaration sur les droits des peuples autochtones des Nations unies, ainsi que dans les deux pactes internationaux, des instruments que le gouvernement du Québec dit respecter.
Un danger
Dans la foulée de la Paix des Braves et de la convention de la Baie-James et du Nord québécois, nous avons une occasion sans précédent de développer notre région tant au bénéfice de la nation crie qu'à celui du Québec, et ce, dans un esprit d'ouverture, de respect mutuel et d'harmonie.
La Paix des Braves a inauguré une nouvelle époque prometteuse caractérisée par une relation de nature raisonnable et la résolution de problèmes entre nos nations au moyen d'une démarche calme. La possibilité de réaliser ces intentions nobles est toujours offerte à nos deux nations.
Il existe toutefois un danger, soit celui de voir le gouvernement retomber dans de vieux modèles historiques, manquant à ses obligations aux termes de nos ententes solennelles et ne respectant pas ni l'esprit ni l'objectif qui les sous-tendent. Une collaboration fructueuse passe par le respect mutuel, la consultation et le travail en fonction d'intérêts mutuels. Une partie ne peut imposer des plans à l'autre partie. Les parties doivent travailler dans un climat de confiance, de respect et de compromis, à défaut de quoi conflits sociaux, méfiance et recours aux tribunaux en résulteront. En signant la Paix des Braves, nous voulions reléguer au passé les approches révolues et les instincts négatifs. Nous voulons travailler plutôt à bâtir des assises solides pour notre nation en aménageant et en développant le territoire dans un esprit de partenariat de nation à nation qui profite à nos deux peuples.
Réaffirmer la Paix des Braves
Aussi, j'invite le premier ministre Charest à se joindre à moi pour réaffirmer l'esprit de la Paix des Braves, et renouveler l'esprit de la convention de la baie James et du Nord québécois. C'est le moment de donner un sens à nos ententes et de cheminer en tant que partenaires égaux pour le bénéfice mutuel de nos peuples.
Réaffirmons ensemble la relation spéciale qui existe entre la nation crie et Québec, relation qui découle de nos ententes novatrices et historiques. Retournons à une relation de nation à nation, fondée sur les principes, où règnent la bonne foi, la confiance et le respect mutuel.
Conscients que les régimes spéciaux sont le propre de notre relation de nation à nation, trouvons le moyen d'implanter efficacement le régime forestier établi dans la Paix des Braves, lequel a été adapté pour tenir compte des circonstances particulières des Cris, et qui a fait l'objet d'un accord des deux parties.
Plan Nord
Nous sommes en pourparlers pour préciser la portée et l'orientation de la gouvernance d'Eeyou Istchee. Une telle démarche doit affirmer nos droits et bâtir sur des ententes qui nous rassemblent. Le temps est venu de revoir les rôles et les responsabilités des enclaves non autochtones dans la région, ainsi que les structures qui les régissent, et ce, dans l'intérêt de toutes les personnes qui résident dans le territoire et dont c'est le «chez-soi».
Le Plan Nord annoncé par le premier ministre Charest en 2008 a le potentiel de devenir une occasion historique, permettant de cheminer ensemble pour renforcer nos économies et façonner un avenir pour nos deux Nations. J'invite le premier ministre à s'associer avec moi afin de peaufiner le Plan et d'exprimer clairement et publiquement nos intentions de collaborer au Plan Nord.
Je me suis toujours engagé, et je m'engagerai toujours, à défendre les droits des Cris. Je suis également engagé, et passionné, à édifier la nation crie et à établir des assises économiques solides pour notre avenir commun. Je suis aussi engagé à poursuivre le développement durable des ressources dans notre territoire, et la création de partenariats stratégiques et respectueux pour assurer ce développement.
J'attends avec grande impatience de collaborer avec le premier ministre Charest dans un esprit de respect, d'amitié et de bonne foi.
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Matthew Coon Come, Grand chef du Grand Conseil des Cris
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