La semaine dernière, je terminais mes emplettes de Noël. Comme chaque année, ça n’a pas été très long, car je déteste le magasinage. La cohue dans les magasins, la chasse effrénée aux aubaines, les errements sans fin dans les stationnements pour garer sa voiture, très peu pour moi. Depuis quelques années, un autre désagrément est venu s’ajouter, de façon insidieuse, à ce magasinage : la musique.
Non pas que je déteste la musique de Noël, bien au contraire. Seulement, celle qu’on me sert participe à un inconfort que je subis déjà toute l’année : celui d’avoir l’impression de vivre sur une terre étrangère. Car, voyez-vous, la musique qu’on me propose est unilingue, exclusivement anglophone. Je pourrais magasiner à Calgary ou à Los Angeles et j’entendrais exactement la même musique.
Je sentais l’affaire venir depuis quelques années. Je me rappelle encore l’accueil qu’on avait fait à Pierre Karl Péladeau et à son « En français, SVP » prononcé en Abitibi lors d’un spectacle en anglais du groupe québécois Groenland il y a près de trois ans. On a accueilli sa remarque comme celle d’un demeuré, d’un vieux mononcle dépassé. Parce que, bien entendu, comme chacun le sait, le français, c’est tellement pas cool.
J’ai essayé de comprendre comment on en était venu à ce triste dénouement qui nous fait aujourd’hui considérer notre langue comme indigne d’être entendue dans nos centres commerciaux et, de plus en plus, dans nos salles de spectacle. Il y a bien sûr la mode, la mondialisation et Internet qui concourent comme jamais à la promotion de l’anglais. Il y a aussi ce fameux déclin du nationalisme qu’on a mille fois analysé et à propos duquel les analystes politiques ne cessent de prononcer les diagnostics les plus sombres. Et bien entendu, il y a le corollaire de ce déclin : le retour en force de l’esprit de colonisé. En simplifiant, disons que le colonisé, à l’image de certains animateurs de radio de la Vieille Capitale, considère que tout ce qui est québécois est un peu suspect, sinon dépassé, pour ne pas dire carrément risible, à commencer par la culture québécoise.
Et la loi 101 ?
Cela me fait penser que nous fêtons cette année les 40 ans de la loi 101. Comment réagirait aujourd’hui Camille Laurin, le parrain de cette loi, lui qui jugeait essentiel que le français occupe l’espace public ? Il en aurait certes long à dire sur ce qui sort aujourd’hui des haut-parleurs des commerces montréalais et sur leur effet insidieux et pernicieux dans l’inconscient collectif. Entre autres effets : nous aurons bientôt toute une génération qui n’aura jamais entendu de sa vie une seule chanson québécoise. Comment réclamer ce dont on ignore l’existence ?
Si la législation a permis de sauver la mise en matière d’affichage et de langue d’enseignement, il serait présomptueux de croire qu’on peut tout légiférer. Il n’est pas question d’envoyer une police linguistique inspecter les haut-parleurs des commerces. De toute façon, la loi, n’importe quelle loi, ne palliera jamais l’essentiel : la vitalité d’une langue doit d’abord reposer sur la fierté de ceux qui la parlent. Si vous tolérez les « bonjour-hi » sans jamais rouspéter, ne vous étonnez pas de n’entendre bientôt que des « hi ». Il en va de même avec la musique.
Notre manque de fierté collective soulève une autre question : comment pourrions-nous sciemment imposer aux immigrants une langue dont nous avons honte ? La question de l’intégration devrait d’abord se poser sous cet angle. Mais revenons à mon magasinage. N’est-il pas étrange que, dans l’univers aussi concurrentiel que celui de la vente au détail, alors que tant de commerçants dénoncent la concurrence injuste des achats en ligne, ils se montrent aussi peu respectueux de leurs clients ?