La commission Bouchard-Taylor sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles a clos ses travaux hier en déposant son rapport. Pour autant, ses recommandations ne mettront pas fin au débat. Beaucoup reste à être discuté. Beaucoup de travail attend les Québécois de toutes origines pour que se réalise cette «vision d'avenir crédible et porteuse» qu'elle nous propose.
Les travaux de cette commission ont été dès le départ l'objet de critiques, voire de quolibets, alors que les deux commissaires parcouraient le Québec pour entendre leurs concitoyens s'exprimer sur la question des accommodements raisonnables. L'exercice a permis un dialogue et contribué à désamorcer une problématique qui était en train de se transformer en crise. Une crise qui, si elle a existé, en était une de perceptions exacerbées par les médias, par les politiciens et par l'effet de la rumeur. La création de la commission a certainement permis d'éviter les dérapages.
Utile, l'exercice était aussi nécessaire. Le Québec est confronté, comme bien d'autres sociétés occidentales, au défi de la diversité. La mondialisation, les flux migratoires, les outils de communication abolissent les frontières et favorisent une diversification ethnique qui ébranle l'identité des groupes majoritaires comme celui que forment les «Québécois d'origine canadienne française». À la source du débat des accommodements raisonnables, il y avait les inquiétudes de ceux-ci. Une réflexion s'imposait sur «le Québec en devenir» que la commission a le mérite d'avoir amorcée. Son rapport a des qualités pédagogiques certaines et les tablettes sur lesquelles il doit se retrouver sont celles des librairies pour qu'il soit accessible à tous ceux qui voudront participer à cette réflexion.
Ce que les commissaires Bouchard et Taylor proposent aux Québécois d'origine canadienne française est un partage de l'espace identitaire québécois avec les autres identités. Ce partage est nécessaire. Il ne sert à rien de se réfugier dans le déni, comme certains pourront être tentés de le faire. Si on ne le fait pas, nous serons confrontés à la fragmentation et à l'exclusion desquelles naîtront des tensions. Elles ne seront pas de l'ordre de la perception, mais bien réelles.
L'intérêt de la démarche proposée par Charles Taylor et Gérard Bouchard est de ne pas reposer sur des renoncements. Elle est au contraire dans la continuité des choix faits ces 50 dernières années, qu'il s'agisse de la laïcité de l'État, de l'adoption du français comme langue commune ou de la politique d'interculturalisme qui inspire les pratiques québécoises d'intégration des immigrants. Ils misent sur l'esprit d'ouverture et de conciliation tant des citoyens québécois que des nouveaux arrivants pour que se développe une volonté de vivre ensemble. L'intégration des immigrants ne peut être une voie à sens unique.
Les commissaires voient juste lorsqu'ils recommandent ainsi de favoriser la déjudiciarisation des pratiques d'accommodement raisonnables au profit d'une «voie citoyenne» reposant sur le compromis et la négociation. Il ne s'agit pas de tout permettre. Il y a des principes et des valeurs à respecter comme l'égalité hommes-femmes, mais ce processus permet de responsabiliser les citoyens. Il faut cependant accepter le dialogue.
Les recommandations et observations de la commission ne feront pas toutes l'unanimité. Plusieurs invitent au débat. La politique de laïcité ouverte préconisée par la commission ne manquera pas de heurter les intégristes de toutes allégeances. L'affirmation plus nette de la séparation des Églises et de l'État préconisée est somme toute modérée. On pourrait souhaiter qu'elle aille plus loin lorsqu'il s'agit, par exemple, du port ostensible de signes religieux par des agents de l'État. Encore faudrait-il qu'on puisse en discuter. Malheureusement, les députés ont donné un bien mauvais signal hier en adoptant une motion pour maintenir la présence dans l'enceinte de l'Assemblée nationale du crucifix que la commission suggérait de retirer. Débat clos sans préavis.
Cette motion est venue du premier ministre Charest qui craint les terrains politiquement trop sensibles. D'emblée, il ne retient pas non plus cette affirmation des commissaires voulant que la première leçon à tirer des événements récents est que «la francophonie québécoise a besoin d'une identité forte pour calmer ses inquiétudes et pour se comporter comme une majorité tranquille». Il rejette les appels de l'opposition à répondre au malaise identitaire par une démarche consensuelle de l'ensemble des partis présents à l'Assemblée nationale. N'accordant pas de valeur aux gestes symboliques comme l'adoption d'une constitution québécoise, il veut plutôt «protéger et perpétuer la langue française» par des gestes ponctuels. Eu égard aux gestes posés par le gouvernement Charest par le passé, on peut se demander s'ils sauront redonner à la majorité francophone la sécurité culturelle qu'elle recherche.
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bdescoteaux@ledevoir.com
Le défi de la diversité
Pour autant, ses recommandations ne mettront pas fin au débat. Beaucoup reste à être discuté.
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