Le rapport Baker-Hamilton

Le défi de l'«irakisation» pour la Maison-Blanche

Rapport Baker-Hamilton

À l'instar des décisions prises par le président Nixon en 1969, le comité Baker d'étude sur l'Irak recommande un renforcement des conseillers militaires puis, surtout et à certaines conditions, un retrait graduel des troupes de combat américaines d'ici et au plus tard en 2008. En d'autres termes, il recommande l'«irakisation» du conflit et de la stratégie des États-Unis.

Ce n'est pas vraiment une surprise, et ce, pour deux raisons. D'abord, le contexte stratégique et les conditions militaires sur le terrain rendaient inévitable un tel virage, tout le monde, militaires comme civils, reconnaissant que l'approche américaine actuelle se trouve dans un cul-de-sac. Il reste à voir si le président Bush acceptera de suivre fidèlement cette recommandation.
Ensuite, le contexte décisionnel au sein de la Maison-Blanche a soigneusement été altéré pour autoriser ce virage. D'un comité jugé au départ inconséquent, le comité Baker s'est transformé en catalyseur décisionnel: changement de personnel après le départ de Rumsfeld, puis celui de Bolton, changement de registre idéologique qui laisse les néoconservateurs pantois et consacre le retour en force des réalistes (qui l'eût cru il y a à peine un an ou deux?).
Baker réussit la mission là où une Condoleezza Rice toute seule n'aurait pas suffi à la tâche. Baker et ses collègues des deux partis politiques offrent maintenant toute latitude au système décisionnel pour procéder à des «révisions déchirantes» pour la politique extérieure des États-Unis, à la condition bien évidemment que le président veuille bien obtempérer. En cette matière, nous pourrions encore être surpris! Examinons cela de plus près.
L'ennemi parti
Le comité Baker aura de l'influence parce que son pire ennemi est parti. On l'a deviné, il s'agit de Donald Rumsfeld, et son meilleur ami, Robert Gates, a été confirmé comme nouveau secrétaire à la Défense.
Pour la petite histoire, c'est Baker qui a exigé cette démission du secrétaire sortant auprès de Bush et, avec l'appui de Bush père, obtenu gain de cause auprès du fils. C'était la seule issue pour que le rapport soit pris au sérieux et ne soit pas «poubellisé».
À vrai dire, le comité Baker n'est pas le comité le plus important sur le plan décisionnel. Ceux qui vont peser lourdement dans la balance sont plutôt les rapports émanant du Pentagone et du Conseil de sécurité nationale (NSC) et qui, sous peu, dans la foulée de Baker, seront plus hardis pour redéfinir les options américaines. Le rapport Baker légitime ainsi, donne du courage et de la substance à ces rapports qui feront sans doute beaucoup plus consensus et iront dans le sens des recommandations de l'«irakisation».
Les changements de personnel à la Défense, au département d'État et au NSC, avec davantage de réalistes fraîchement arrivés et aux postes de commande, rendent d'autant possible le retour à des objectifs plus accessibles pour les États-Unis en Irak. Mais il subsiste encore deux obstacles de taille assez imposante: Bush et la situation en Irak. Il n'est pas évident que, dans ces deux cas, la situation évolue à la satisfaction de Baker et des décideurs de la bureaucratie américaine.
Un entêté
Le président est un être têtu, opiniâtre et peu enclin à explorer les subtilités. Toutes les études démontrent qu'il ne change pas facilement d'idée. On pourra certes se féliciter qu'il dise de bons mots sur le travail de Baker et qu'il en accepte apparemment les conclusions. Le véritable test aura lieu lors de la prise de décision elle-même et quand Bush aura à trancher devant les recommandations de ces comités internes du Pentagone et du NSC.
Il a un oeil tourné vers ceux-ci; il a surtout l'autre oeil tourné vers l'histoire. En effet, voudra-t-il être perçu comme un président défait ou comme un président obstiné en ce qui concerne la décision qui définira sa présidence pour des générations? Nul ne le sait vraiment encore, d'autant que la situation en Irak apportera rapidement les réponses à cette question, pour lui comme pour nous, observateurs.
Finalement, c'est la situation militaire en Irak qui définira les chances de succès de la stratégie de l'«irakisation». «Les États-Unis ne gagnent pas», a reconnu Gates; «pas de formule magique», prévient Baker. On peut redouter qu'un redéploiement des troupes américaines n'arrange rien à court terme et montre plutôt toute la futilité de la stratégie, quelle que soit en vérité la quantité de troupes déployées.
On peut aussi imaginer que le retrait éventuel n'enraye pas les perspectives d'une guerre civile (d'une partition) durable de l'Irak, et ce, avec tous les risques d'embrasement pour la région.
Dans les deux cas, Bush aura signé l'épilogue de la triste fin d'une invasion et d'une occupation insensées. Le pari semble difficile à relever, et le comité Baker, bien qu'il offre une bouée de sauvetage, ne donne aucune garantie et ne trace aucune voie sûre pour éviter la noyade d'un président déjà à bout de souffle.
Charles-Philippe David

Titulaire de la chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, directeur de l'Observatoire sur les États-Unis de l'Université du Québec à Montréal et auteur des ouvrages Au sein de la Maison-Blanche (PUL, 2004) et La Guerre et la Paix (Presses de Sciences Po, 2006)


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