Le Collège des médecins du Québec croit avoir trouvé une solution au problème éthique de l'euthanasie. Mais la position qu'il vient de publier est si nuancée qu'elle a été diversement interprétée. Malgré l'évolution que l'on y invoque, le moment est-il venu d'adopter une loi de compromis? À Ottawa, où l'épineuse question sera soumise au vote, le résultat semble loin d'être acquis.
Après trois ans de consultation, le Collège ne prétend pas, dit-il, avoir trouvé une «réponse simple» à une question aussi «complexe». Et il récuse une fois de plus les prétentions des avocats, députés et autres sondeurs d'opinion qui ne sauraient, à son avis, conseiller le médecin quand son patient lui demande «de mourir dans la dignité et de ne pas souffrir».
Le Collège dit prendre le point de vue du patient qui fait face à «une mort imminente et inévitable». Dans la majorité des cas, «avec l'analgésie appropriée», on peut respecter, estime-t-il, les obligations déontologiques du médecin. Ces obligations ne sont pas alors de «maintenir la vie à tout prix», mais de faire en sorte que le décès qui paraît «inévitable» survienne dans la dignité, et d'assurer à ce patient «le soutien et le soulagement appropriés».
«Mais, ajoute le Collège, il y a des situations d'exception où l'agonie et la souffrance se prolongent et où on demande aux médecins de poser des gestes qui pourraient être interprétés comme interdits par le Code criminel.» Selon le Dr Yves Lamontagne, son président et directeur général, «plusieurs de ces gestes correspondent à des soins médicaux appropriés».
Bref, selon le Collège, la loi actuelle ne reflète pas la réalité vécue par les patients et leurs médecins et limite le développement des soins appropriés en fin de vie. «Il faut sortir de la logique de droits actuelle», juge le Dr Lamontagne. Une nouvelle loi permettrait d'assurer aux patients, aux médecins et à la société des soins de fin de vie qui soient «les plus appropriés possible». Cette loi n'aurait pas à recenser «toutes les situations possibles», mais définirait un processus où «le patient ou sa famille et le médecin ont leur mot à dire» et peuvent obtenir toute l'assistance requise pour «prendre une décision commune et satisfaisante pour tous».
Sensibilité nouvelle
Le Collège croit même voir «une sensibilité nouvelle» à cet égard, chez les médecins comme dans la population du Québec, de plus en plus «pluraliste», où l'euthanasie pourrait, dans des situations «exceptionnelles», être considérée comme «une étape ultime et nécessaire pour assurer, jusqu'à la fin, des soins appropriés et de qualité», ainsi que l'explique le Dr Yves Robert, secrétaire du Collège. Pourtant, comme si sa position était loin d'être assurée, le Collège des médecins invite d'autres acteurs, notamment l'Ordre des infirmières et infirmiers et le Barreau, à l'accompagner «dans la suite du cheminement».
Le Collège en aura grand besoin. Car si les associations d'omnipraticiens et de médecins spécialistes du Québec ont annoncé que leurs membres étaient en majorité favorables à l'euthanasie, les sondages internes qu'elles ont menés sont contestés au sein des leurs. Tous conviendront sans doute que si la loi permet l'euthanasie, elle devra en prévoir aussi les modalités. Mais cette pratique «exceptionnelle» est-elle aussi largement acceptée que leurs organisations le prétendent?
Avant même que le Collège fasse connaître sa position, une centaine de médecins s'y opposaient en principe, rapportait Le Soleil de Québec. «Faire mourir le patient n'est pas une solution humaine pour soulager les situations dramatiques de douleur et de souffrances terminales», écrivait en août dernier le Dr André Bourque, chef du département de médecine générale du Centre hospitalier de l'Université de Montréal, dans une lettre ouverte signée également par plusieurs de ses collègues.
Un autre médecin, le Dr Manuel Borod, directeur des soins palliatifs du Centre de santé de l'Université McGill, s'interrogeait en octobre dans The Gazette sur la représentativité de l'opinion recueillie par la Fédération des médecins spécialistes. Seulement 23 % des membres avaient daigné répondre, et le Dr Borod se demandait s'il s'agissait surtout de radiologistes et de pathologistes, par exemple, ou de spécialistes plus près des patients, comme les médecins en oncologie ou en gériatrie.
Quoi qu'il en soit de l'état de l'opinion au Québec, ailleurs au Canada le débat fait déjà rage, notamment du côté d'organisations catholiques et de groupes de défense des personnes handicapées. Un projet de loi présenté par un membre du Bloc québécois, Francine Lalonde, était mort au feuilleton en raison d'élections précipitées à Ottawa. Mais depuis, la modification que l'on y propose au Code criminel a été acceptée en «première lecture», c'est-à-dire pour examen et débat. Son adoption finale est cependant loin d'être assurée.
Baptisé C-384, ce projet sur le «droit de mourir dignement» n'est pas présenté par le gouvernement. Les députés pourront donc, s'il parvient en lecture finale, voter «selon leur conscience». Le Bloc y sera généralement favorable. Libéraux et néodémocrates aussi. Mais les conservateurs auront tendance à s'y opposer. Leur parti doit pourtant concilier le conservatisme moral de son électorat dans l'ouest du pays, et l'ouverture que ses candidats auront à manifester au Québec lors de la prochaine élection.
En matière d'éthique comme de religion, la question de l'euthanasie ou même du «suicide assisté» n'est pas moins difficile à trancher dans une société diversifiée. Elle l'est peut-être davantage. Il serait néanmoins regrettable qu'un calcul partisan empêche de trouver une réponse de compassion.
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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.
L'euthanasie en question
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