Euthanasie - Les personnes âgées doivent prendre la parole

Euthanasie

Marcel Boisvert - «De façon toute personnelle», à la manière de David J. Roy qui écrivait en ces pages la semaine dernière, je réponds que NON, les personnes âgées n'ont pas à craindre l'euthanasie... si elles ne la désirent pas.
L'inhumanité qui préoccupe le chercheur est incluse dans l'ADN humain, comme l'est la compassion. La vie du «bon peuple» était bien plus inhumaine au Moyen-Âge et jusqu'à la Révolution, qu'elle ne l'est aujourd'hui. L'exemple venait de haut. De la cour, des Croisades, de l'Inquisition, de la Saint-Barthélemy, de la révolution industrielle anglaise...
Contrairement à lui, je pense que de nos jours, nous discernons plus qu'il ne le voit les «courants d'inhumanité dans nos sociétés» qu'il mentionne. Mais ici également, l'exemple vient de haut et engendre le cynisme. Des chefs d'entreprise attablés avec les politiciens, recevant salaires et primes scandaleux après avoir créé des milliers de chômeurs; un gouvernement plus anxieux à financer des écoles privées que de soutenir les enfants au futur compromis du Dr Gilles Julien... Puis vient l'espoir. Des milliardaires considèrent donner la moitié de leur fortune aux démunis.
Des études
En 1993, la Cour suprême a décliné la demande d'aide à mourir de madame Sue Rodriguez, entre autres par crainte d'abus envers les personnes dites vulnérables, en dépit de l'absence totale de données en ce sens. Vingt ans plus tard, «le système de contrôle mis en place pour éviter les erreurs [argument dominant des opposants] fonctionne bien et, s'ils existent, les cas de bavures sont rares ou inexistants». Ces paroles sont de l'Honorable J. L. Baudoin, juriste québécois réputé. Elles furent prononcées en juin 2009.
Il est sain de s'interroger, mais il serait plus opportun de créer un laboratoire de recherche sur ces questions, de chercher des données probantes avant d'agiter des épouvantails aptes à troubler gratuitement des aînés qui méritent mieux.
La Dre Margaret P. Battin, philosophe américaine reconnue en ce domaine, et des collaborateurs chevronnés des Pays-Bas et de l'Oregon publiaient en 2007 une analyse minutieuse des données de ces deux contrées (Legal Physician-Assisted Dying in Oregon and the Netherlands: Evidence Concerning the Impact on Patients in "Vulnerable" Groups). Aucun abus euthanasique ne fut décelé envers les aînés; de même, dans une autre étude, Battin et Emanuel démontraient que si des économies découlaient de l'euthanasie, elles seraient de l'ordre de 0,01 % du budget total de la santé (What Are the Potential Cost Savings from Legalizing Physician-Assisted Suicide?, 1998). De quoi faire taire quelques voix mal renseignées.
De la société
De 1967 à 1979, alors qu'il n'était pas question d'euthanasie, je fus responsable des soins infirmiers et médicaux d'une résidence anglophone de 400 aînés. J'aurais dû compter les douzaines de fois où l'on m'a dit sereinement: «We live much too long doctor...» (On vit beaucoup trop longtemps, docteur...) Je n'y entendais pas des demandes d'euthanasie, mais j'y ai perçu une nouvelle donne sociologique.
À savoir que la vie peut être bien trop longue pour plusieurs, avec de moins en moins de qualité de vie, conséquence directe de la longévité. Pour dix qui le disent, combien le pensent?
Une excellente étude pancanadienne a démontré que sur 379 cancéreux en phase terminale répartis dans huit services reconnus de soins palliatifs du pays (dont un du Québec), 5,8 % (22 patients) auraient demandé l'euthanasie immédiatement, fut-elle légale au Canada. Une fois par semaine, on a pu questionner 17 de ces patients de nouveau, certains quatre fois! Une seule a changé d'avis, son état s'étant amélioré (Wilson, KG. et coll. Desire for Euthanasia or Physician-Assisted Suicide in Palliative Cancer Care, 2007).
Dans le contexte où demander l'euthanasie est demander un geste hautement (à tort) criminel, on devrait se questionner avant de se féliciter sur le petit nombre de demandes d'euthanasie.
Les propos de l'Honorable Baudoin et les travaux de Battin mettent un lourd bémol sur les appréhensions de David J. Roy. La multidisciplinarité des équipes de soins offre les meilleures occasions de communication et la meilleure protection contre les abus. Une complicité malveillante univoque entre tant de personnes est du domaine de l'improbable.
Évidemment, la prudence sera toujours de mise.
Un jour, les aînés retrouveront leur plein droit de parole (c'est déjà amorcé), pour se soustraire au paternalisme de l'État et de la médecine, qui prétend vouloir leur dicter comment jouer la dernière scène de leur vie.
***
Marcel Boisvert - Médecin et professeur de médecine palliative à la retraite


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->