Ce titre est aussi celui d'un bouquin que j'ai écrit il y a quelques années pour raconter aux jeunes le triste sort qu'est celui du béluga du Saint-Laurent.
Il y a 20 000 ans, tout le Québec, jusqu'à New York, était recouvert d'une calotte glaciaire dont l'épaisseur pouvait atteindre 2 km. Un banc de neige qui était si pesant que la croûte terrestre s'est enfoncée sous son poids. Lorsque les glaces se sont retirées, il y a environ 13 000 ans, elles ont laissé une dépression qui a été envahie par les eaux salées, formant la mer de Champlain qui recouvrait toutes les basses terres du Saint-Laurent.
C'est à cette époque que sont arrivés des bélugas, des narvals et bien d'autres espèces dont on trouve encore les fossiles jusqu'en Ontario. Une fois la croûte terrestre libérée de la pesante glace, elle s'est relevée tranquillement en chassant du même coup les eaux marines et c'est ainsi qu'il y a 9000 ans, la mer de Champlain a laissé place à ce qui allait devenir le fleuve Saint-Laurent, qui sert aujourd'hui d'exutoire pour les Grands Lacs.
Depuis ces temps lointains, ces marsouins blancs (dont la pêche traditionnelle a été racontée en 1962 à Michel Brault et Pierre Perrault par les habitants de L'Isle-aux-Coudres dans un chef-d'oeuvre cinématographique intitulé Pour la suite du monde) nagent dans le Saint-Laurent. Isolés des autres populations de bélugas vivant plus au nord, ils forment une société distincte; une minorité bien visible au milieu des baleines migrantes; un village gaulois qui tente de survivre dans cette partie de l'Amérique, malgré bien des tentatives historiques de les faire disparaître, dont une chasse intensive subventionnée par le gouvernement dans les années 30. Bref, un destin qui peut parfois recouper celui des francophones qui partagent son territoire.
Parce qu'il s'agit d'une espèce de baleines très volubile sous l'eau, le béluga est aussi appelé le canari de mer, par analogie au petit oiseau jaune, criard, très commun dans nos maisons et jadis très utile aux mineurs. Autrefois, quand venait le temps de descendre dans les profondeurs, les mineurs emportaient des canaris pour leur servir d'indicateur de niveau d'oxygène. Lorsque les oiseaux commençaient à avoir mauvaise mine, c'était le temps de déguerpir. Aujourd'hui, le canari de mer est à l'état de santé du Saint-Laurent ce que son homologue aviaire était à la survie des mineurs. Sa situation précaire en dit long sur notre manque de délicatesse envers son habitat.
De nos jours, ils ne sont plus que quelques centaines, alors qu'on croit que le Saint-Laurent en hébergeait plus de 10 000 à l'arrivée de Jacques Cartier. Selon les spécialistes, dont Pierre Béland, à qui j'ai parlé longuement à ce sujet cet été, le projet de port pétrolier à Cacouna pourrait sérieusement perturber la reproduction déjà problématique des derniers survivants.
Je me demande donc comment on peut conclure en si peu de temps que les inquiétudes de tous ces chercheurs, dont certains ont consacré plus de 30 ans de leur vie au béluga, ne sont pas fondées.
Quand l'or noir a jailli de la terre au milieu du XIXe siècle, les baleines, dont la graisse servait à alimenter les réverbères des grandes villes occidentales, ont applaudi. Pour cause: les gens ont délaissé petit à petit l'huile animale pour le nouveau combustible, qui était plus abordable.
Aujourd'hui, le sauveur d'hier est devenu le principal bourreau pour les cétacés. Les partisans du projet de TransCanada gagneraient donc à se rappeler que l'huile de l'Alberta ne se mélange pas plus avec l'eau du Saint-Laurent et que «pour la suite du monde», les baleines, et surtout les bélugas, sont aussi les moteurs d'une énorme et durable économie touristique sur les deux rives du Saint-Laurent.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé