L'élection partielle dans Jean-Talon marque la disparition du dernier fil qui unissait le PLQ avec la population du Québec à l’Est de Montréal. La symbolique de cette défaite libérale est très forte. Permettez-moi de saisir cette opportunité pour revenir sur la récente saga entourant la candidature de Dominique Anglade. Je parle ici de ces militants convaincus que tasser Anglade et la remplacer par un Blanc, de préférence venant des régions, est indispensable pour séduire les régions. Ce raisonnement très tordu m’a fait sursauter.
Quand on dit à Boucar qu’il ne sera pas bien accueilli dans telle région à cause de sa couleur, on fait du racisme par procuration. Cette discrimination est à la fois méprisante pour Boucar et pour les habitants de la région désignée.
En murmurant dans l’ombre que Dominique Anglade ne pourrait pas percer en région parce qu’elle est légèrement plus bronzée que la moyenne nationale, certains militants libéraux sont tombés dans le racisme par procuration.
Cette information coulée dans la presse est surtout une preuve supplémentaire de la grande crise de confiance qui sépare le PLQ des régions. Quand on croit qu’il suffit de les appâter avec un Blanc de Drummondville pour que le vote des régions revienne au PLQ, le mépris n’est pas très loin.
Est-ce que les libéraux ont déjà oublié que leurs têtes d’affiche par lesquelles leurs problèmes actuels sont arrivés se réclamaient des régions ? Je pense ici à Jean Charest de Sherbrooke, mais surtout à Philippe Couillard, qui se réclamait bien plus fièrement du Lac-Saint-Jean que de Montréal. La crise entre le PLQ et le vote francophone en région n’a rien à voir avec la couleur de Dominique, qui est une femme brillante dont l’expertise a été convoitée autant par la CAQ que par le PLQ. On peut reprocher à Mme Anglade certaines de ses décisions politiques passées, mais essayer de nuire à sa candidature de la sorte relève d’un indéniable mélange de discrimination raciale et de mépris de la fierté régionale.
On parle beaucoup de régionalisation de l’immigration, mais comment voulez-vous donner aux nouveaux arrivants l’envie de s’installer en région quand une certaine élite médiatique et politique décrit ces régions à mots couverts comme des endroits de réclusion identitaire des Québécois dits « de souche » ?
Dans ma courte vie au Québec, j’ai vécu à Rimouski, travaillé à Matane, à Gaspé, aux Bergeronnes, enseigné au cégep de Baie-Comeau et au campus de Lévis. Depuis 1991, j’ai aussi fait plusieurs fois le tour du Québec. Disons qu’en toute humilité, je pense avoir une certaine expérience du terroir québécois. Je peux aussi dire que, sans être parfaites, ses régions ne sont aucunement plus fermées à la diversité que Montréal. D’ailleurs, les seules fois que j’ai vraiment éprouvé une sérieuse difficulté à trouver un logement à cause de mon accent africain, c’était à Montréal.
Je vous raconte. Je venais d’être engagé par Radio-Canada pour coanimer Des kiwis et des hommes avec Francis Reddy et il me fallait trouver une place où poser mes pénates. Comme on me parlait de la grande ouverture à la diversité des gens de Montréal, je croyais qu’y trouver un logement serait une petite promenade. Malheureusement, partout où j’ai appelé, alors qu’on affichait l’appartement libre, dès que le propriétaire entendait mon accent, il n’était plus disponible.
Au bout de quelques jours de recherche, j’ai trouvé une technique qui allait me tirer d’affaire. Non, je ne parle pas ici de mes tentatives de faire appel à mon accent gaspésien ! Comme façon d’amadouer, je disais plutôt aux propriétaires au bout du fil que je travaillais avec Francis Reddy à la télé. Avec cette caution, les chakras devenaient bien plus faciles à ouvrir. Pas besoin de vous dire qu’après avoir signé un bail, j’avais remercié Francis d’avoir été mon leurre pour ouvrir les cœurs.
Mais entendons-nous bien, je ne dis pas ici qu’il y a plus de discrimination à Montréal. Je dis simplement qu’il n’y en a pas plus dans les régions, contrairement à une croyance bien répandue dans l’imaginaire d’une certaine fierté métropolitaine qui croit que le Québec ouvert et tolérant se trouve entre Longueuil et Laval.
D’ailleurs, permettez-moi encore de rappeler dans ces pages que les seules municipalités qui ont déjà élu des maires issus de la diversité se situent dans les régions ressources. Je pense au regretté Ulric Chérubin, qui a été longtemps maire de la ville d’Amos, et à Michel Adrien, qui est encore le maire de Mont-Laurier. Il y a quelques années, je suis allé visiter la défunte ville de Gagnon avec Marc Poulin, qui faisait partie du conseil municipal qui a entériné sa fermeture définitive en 1985 pendant la crise du fer. À cette époque déjà bien lointaine, Marc m’a appris que le maire, qui s’appelait René Coicou, était aussi d’origine haïtienne. Voilà donc trois exemples de Québécois d’origine étrangère, comme Dominique Anglade, pour démontrer que la couleur n’est pas plus un plafond de verre en région qu’à Montréal pour celui ou celle qui sait aimer et se faire aimer.
En dehors de son passé récent bien nébuleux, le problème du PLQ se trouve surtout dans la façon dont ses dirigeants ont, ces dernières années, souvent pointé un doigt vers les francophones en parlant de fermeture, de braises de l’intolérance et de nationalisme identitaire.
À vouloir toujours garder le vote anglophone et allophone dans son filet, le PLQ s’est petit à petit auto-menotté à une adhésion totale à l’idéologie multiculturaliste canadienne.
Aussi, malgré le discours interne de ses membres qui parlent d’interculturalité et de nécessité d’y ramener un peu de nationalisme, le raccommodement avec les régions ne sera pas facile. Il nécessitera un virage trop risqué, car vouloir séduire largement Montréal impose d’éviter ou de piétiner des sujets importants pour les régions, et inversement. Voilà le nouveau Québec. C’est une nation ou s’affronteront ouvertement deux nationalismes. Le nationalisme francophone et le nationalisme montréalais défendu par beaucoup de gens qui se définissent uniquement par leur appartenance métropolitaine. Certains fondamentalistes de cette idéologie n’hésiteraient pas à voter en faveur d’une séparation de Montréal du reste du Québec.
Cette fracture, qui a toujours existé, a été malheureusement élargie par le clientélisme politique de tous les partis. Pourtant, les régions ont besoin de Montréal et l’inverse est tout aussi vrai. D’ailleurs, chaque fois que j’entends des gens vivant en région dire ne pas se sentir concernés par ce qui se passe à Montréal, je ne peux m’empêcher de répondre : « Même si vous vivez en Abitibi, vous avez tort de penser que l’anglicisation de Montréal ne vous concerne pas. Montréal, c’est le cœur du Québec. Quand le cœur se désintéresse, les organes périphériques cessent d’être irrigués et finissent aussi par mourir tranquillement. »
Le PLQ aussi a besoin au plus sacrant d’un plan crédible de reconquête du vote francophone avant d’en arriver à une quasi impossible réconciliation. Je parle ici d’une fracture irréparable comme celle qui règne entre le Parti québécois et la très grande majorité des Québécois issus de la diversité. Il est utopique de penser qu’un simple changement de couleur de peau et de code postal du chef suffirait à régler l’écartèlement de plus en plus inconfortable du PLQ entre Montréal et le reste du Québec.