S'il y a bien une chose évidente qu'ont confirmée, encore une fois, les révélations du Devoir concernant le refus de Michel Robichaud de se faire servir par une représentante de l'État arborant le foulard islamique, c'est bien la nécessité de doter les institutions de l'État de balises claires en matière d'accommodements et d'enchâsser la laïcité dans une Charte. Ce que ne veut surtout pas s'atteler à faire le gouvernement qui préfère se cacher derrière la Commission des droits de la personne lorsqu'il est question d'égalité ou de laïcité.
Une stratégie délibérée
Il y a autre chose — de plus sournois — qui se dessine et transparaît de l'attitude du gouvernement depuis le mois de mai dernier, alors qu'il a clairement pris position pour le port des signes religieux dans la fonction publique: c'est son fort penchant pour la laïcité «ouverte» et sa stratégie délibérée d'instrumentaliser l'administration publique ainsi que l'école à travers le programme d'Éthique et de culture religieuse (ECR) et la Commission des droits de la personne pour «encadrer» la société et la rendre plus perméable aux demandes religieuses.
En déboutant Michel Robichaud, la Commission des droits de la personne a donné à la liberté religieuse préséance sur le caractère laïque de la Régie de l'assurance maladie. L'épisode automnal du projet de loi 16 a dévoilé les manoeuvres du gouvernement afin de modeler et de formater l'administration publique en fonction des postulats de base de la laïcité «ouverte» en ouvrant grande la porte aux accommodements religieux qui remettent en cause l'un des principes intrinsèques de la démocratie, à savoir l'égalité homme-femme si chère au peuple québécois.
En octobre dernier, après avoir défendu sur toutes les tribunes la pertinence du projet de loi 16, le voilà tabletté. Pour combien de temps? Là est la véritable question. Quant au programme d'ECR, il fait l'apologie du religieux plutôt que d'en faire une lecture historique, il sème la confusion entre ce qui a trait aux connaissances et ce qui se rapporte aux croyances. Cela entraînera, inéluctablement, une permissivité face au fait religieux et ne permettra pas aux élèves d'en faire une analyse critique. Cette approche constitue un réel danger pour l'avenir de la laïcité et ouvre la voie à plusieurs dérives. Le gouvernement préfère ouvrir la laïcité plutôt que d'ouvrir le débat sur son contenu, et cela, au mépris de la population, des partis d'opposition, des syndicats, du Conseil du statut de la femme et de différents organismes laïques et féministes qui demandent un débat sur la question.
Pourquoi un débat sur la laïcité?
Parce qu'il n'y a rien de plus légitime pour un peuple que de définir démocratiquement et collectivement le projet de société dans lequel il se reconnaît. La société québécoise n'est pas une juxtaposition de mosaïques communautaires. Forte de sa pluralité et de sa diversité, elle a une identité propre, une histoire, une langue commune et des valeurs spécifiques.
En ce sens, la laïcité est le vecteur de l'intégration de toutes et de tous dans la société en créant l'équilibre entre le respect des convictions individuelles, forcément diverses, et le lien social. La confusion quant au contenu de la laïcité est responsable de la détérioration du climat social et constitue un véritable frein au vivre-ensemble. De plus, elle participe à la stigmatisation des immigrants qu'on tient pour responsables des demandes d'accommodements.
Or, il n'en est rien. C'est un débat sur les valeurs fondatrices de cette nation qu'on doit tenir. Ce n'est pas un clash entre l'Orient et l'Occident qui se joue sous nos yeux. Ce n'est pas une chicane entre fédéralistes et souverainistes et encore moins un clivage entre gauche et droite. C'est un débat sur l'intrusion du religieux dans la sphère publique dans un contexte international marqué par la montée des intégrismes religieux. C'est une confrontation entre deux visions antagoniques du monde: l'une universelle et l'autre différentialiste et communautariste.
Dans cette perspective, le voile islamique contribue à une reconquête du pouvoir par les islamistes. Il s'inscrit dans un système de valeurs qui n'est pas compatible avec l'idéal féministe et laïque. Il a forcément une connotation politique dont il faut tenir compte, car des millions de femmes dans le monde sont obligées de le porter. Ceux qui brandissent l'intégration des immigrants et surtout des immigrantes pour défendre le port des signes religieux dans la fonction publique instrumentalisent ces derniers à des fins purement partisanes. Leur hypothèse n'est étayée par aucune analyse objective. Bien au contraire, plusieurs études indiquent que les immigrants sont prêts à faire d'immenses sacrifices et concessions pour intégrer le marché du travail et ne demandent aucun accommodement religieux.
Alors, de qui parle-t-on et qui parle au nom de qui? Assiste-t-on nous encore une fois à des relents paternalistes? Il est illusoire de prétendre, tel que le préconisent les partisans de la laïcité «ouverte», que les symboles religieux sont dépourvus de discours et de portée politique. Un symbole, c'est en soi un discours. Le vivre-ensemble est possible si l'on consolide des valeurs communes. C'est justement le cadre citoyen que nous offre la laïcité.
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Djemila Benhabib - Auteure de Ma vie à contre-Coran (vlb éditeur)
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