Chacun s’en doute depuis le début et le gouvernement du Québec l’a finalement admis jeudi : le gros de la facture de la catastrophe de Lac-Mégantic échouera dans les mains des contribuables. Mais il faudra voir aussi à ce que la MMA ne s’en tire pas à trop bon compte.
Il était dans l’ordre des choses que la MMA demande et obtienne la protection de la Cour contre ses créanciers. Oui, il faudra de l’ordre dans ce fouillis judiciaire qui frôle l’anarchie. Cela ne sert pas que les intérêts de la compagnie ferroviaire, mais aussi celui des sinistrés, ces créanciers « extraordinaires », comme les a qualifiés le juge Martin Castonguay, ajoutant symboliquement une catégorie aux créanciers privilégiés et garantis auxquels on fait toujours référence dans ce genre de procédures.
Il faut toutefois coupler les documents déposés par la MMA devant la Cour supérieure du Québec à ceux remis à un tribunal du Maine pour prendre la juste mesure du cynisme de l’entreprise dans sa manière de tenter de bloquer les recours contre elle.
La MMA a profité pleinement du boom du transport du pétrole, et elle le souligne en toutes lettres dans l’affidavit présenté du côté américain par son vice-président aux finances et à l’administration, M. Donald Gardner Jr. : « Les forages américains et canadiens produisaient du pétrole plus vite que l’on pouvait construire de nouveaux pipelines, et les trains étaient nécessaires pour transporter le brut aux raffineries. » Pour la MMA, cela s’est traduit par des revenus bruts de 3 millions de dollars par mois. Depuis le déraillement, la manne a été ramenée à un million.
La compagnie n’a toutefois pas profité de sa bonne fortune pour investir dans la compagnie, dont on connaît aujourd’hui les lacunes en matière de sécurité, et elle a toujours soigneusement limité ses dépenses au Québec à l’indispensable.
Il est vrai que, conformément aux habituelles divisions propres au monde des affaires, la MMA et la MMA Canada sont deux entités séparées ; dans les faits, leurs opérations sont complètement intégrées. Mieux encore, la MMA est la compagnie mère, celle qui récolte les revenus. Son pendant canadien ressemble plutôt à l’adolescent de la famille à qui l’on verse une allocation pour payer des dépenses précises : la paye des employés, l’essence consommée au Canada, l’édifice de Farnham, etc.
On comprendra donc la vigilance de Daniel Larochelle, l’avocat derrière le recours collectif que souhaitent intenter des citoyens de Lac-Mégantic, qui se promet de cibler « le conglomérat au complet ». Quand on voit le modus operandi des deux entreprises, il n’y a plus rien d’étonnant à ne trouver que 274 000 $ comptant dans les coffres de la MMA Canada et des biens immobiliers ne totalisant que 17 millions de dollars (des miettes en regard des coûts de nettoyage évalués à 200 millions à Mégantic et ce qui lui a permis, jeudi, d’obtenir la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies). L’argent est du côté américain, où les actifs de la compagnie sont évalués entre 50 et 100 millions de dollars. Il ne faudra pas perdre cette structure de vue.
Mais il est clair que la bataille sera longue et qu’elle opposera deux logiques : celle d’une entreprise qui veut poursuivre ses opérations (ce qui inclut de payer ses employés parce qu’un déclin de leur moral serait néfaste pour les affaires, lit-on dans l’affidavit du vice-président !) afin de ne pas nuire à sa vente future et celle d’une communauté en quête de justice, en deuil, et qui doit en plus trouver l’argent et l’énergie pour se réinventer.
L’exclamation « une insulte » lancée mercredi par la mairesse Colette Roy-Laroche en apprenant la démarche de protection des tribunaux entreprise par la MMA risque de résonner encore souvent sous les cieux méganticois
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