L’explosion de Lac-Mégantic aura décidément eu un mérite : celui de nous ouvrir les yeux sur tout ce que nous ignorons à propos du transport de matières dangereuses. Et quand il s’agit du nucléaire, l’ignorance a ceci d’ironique qu’elle est avalisée par les autorités. C’est assez ! disent avec raison des élus municipaux.
Il y a déjà quelques années que des élus municipaux et des regroupements en tout genre se préoccupent du transport de déchets radioactifs au Canada, mais ce sujet est couvert de manière bien inégale par les médias, d’autant que les plus grands secrets entourent ce dossier.
Fin 2010, début 2011, il y a bien eu le projet de l’entreprise ontarienne Bruce Power, autorisé par la Commission canadienne de la sûreté nucléaire (CCSN), de transporter du matériel radioactif par bateau jusqu’en Suède en passant par les Grands Lacs et le fleuve Saint-Laurent, qui avait fait un court temps les manchettes, vu le tollé soulevé. Mais il est vite retourné dans l’angle mort de l’actualité. Et c’est par une voie détournée - un rapport de la firme suédoise impliquée dans le projet et rendu public en juillet - qu’on a su que le projet a finalement été abandonné.
Tant de discrétion ne peut plus tenir la route dans cette ère post-Mégantic, comme le rappelait avec justesse vendredi, dans les pages du Devoir, le maire d’Amqui, Gaëtan Ruest, qui est aussi membre du Regroupement des municipalités québécoises pour un futur énergétique socialement responsable (RMQFESR). Les gouvernements justifient leurs silences par la crainte des terroristes, mais les populations en ont assez des actes de foi qu’on leur demande de faire. Peut-on s.v.p. savoir ce qui circule sur nos routes, nos rails, nos eaux ?
Un projet de transport par camion de déchets nucléaires liquides des laboratoires de Chalk River, en Ontario, non loin de la frontière québécoise, pour les envoyer en Caroline du Sud est donc présentement évalué par la CCSN. Celle-ci assure de sa rigueur et de son expertise. Reste qu’il y a bien des inconnues dans ce dossier.
Il s’inscrit d’abord dans la foulée d’un accord conclu en mars 2012 entre les États-Unis et le Canada pour intensifier les efforts (commencés en 2010 et qui doivent durer jusqu’en 2018) d’envoi d’uranium hautement enrichi de Chalk River vers les États-Unis. Une manière de concrétiser un engagement international, avalisé par plusieurs pays, de regrouper les stocks d’uranium afin de mieux les protéger de visées terroristes. Les Canadiens n’ont pour ainsi dire pas entendu parler de ce vaste programme.
De même, ils savent peu qu’il se fait régulièrement du transport de différentes substances nucléaires au Canada : plus d’un million de colis par année, nous apprend le site de la CCSN. Les accidents sont rarissimes, n’ont jamais eu de répercussions environnementales, et si c’était le cas, dit toujours le site, la contamination serait limitée à la zone entourant le colis, « puisque le combustible nucléaire usé est une matière solide ».
Sauf que dans le projet sur la table, il s’agit de stocks liquides hautement radioactifs. Le conteneur dans lequel on veut les placer a déjà transporté du liquide peu radioactif et des solides très radioactifs, mais jamais une combinaison des deux. Aux agences canadienne et américaine d’évaluer si cela est possible, à nous de faire confiance…
Et combien faudra-t-il de convois pour transporter ces déchets ? Top secret. Certains disent 40 camions, d’autres jusqu’à 90, à un rythme qui pourrait durer des mois. À noter que depuis 2010, deux importants transferts d’uranium provenant de Chalk River ont eu lieu, empruntant les autoroutes de régions densément peuplées, si l’on en croit la presse américaine.
Les porte-parole des agences, tant du côté canadien qu’américain, ont beau répéter que rien ne sera autorisé qui ne sera sécuritaire, ce sera au final à l’expéditeur de voir à la sûreté pendant le transport. Et au transporteur, compagnie privée, de s’assurer que ses employés sauront réagir en cas d’urgence. L’ombre de Lac-Mégantic plane… Peut-on vraiment s’y fier ? Ce type de transfert est-il même nécessaire ?
Mais il n’est pas possible de discuter publiquement, officiellement, de ces enjeux pourtant énormes. Le terrorisme est un risque, mais aussi un repli bien commode pour éviter le débat. Des municipalités s’insurgent, craignent les négligences, les accidents. Et on sait maintenant, à la faveur d’un terrible été, que leurs craintes n’ont rien d’imaginaire.
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