Le dossier de la culture s'impose de plus en plus comme une priorité au Québec. Or, les demandes québécoises en la matière illustrent remarquablement les limites du «fédéralisme d'ouverture» défendu par le gouvernement conservateur de Stephen Harper. Les récentes déclarations de la ministre Josée Verner et de la candidate Myriam Taschereau montrent à quel point les Québécois sont encore loin de la «souveraineté culturelle», pour reprendre la formule élaborée par Robert Bourassa et à laquelle le gouvernement Charest semble aujourd'hui s'associer.
De «l'ouverture» à l'arrogance
À en croire les propos de la candidate Myriam Taschereau, les conservateurs feraient maintenant l'éloge des dédoublements de structure et des intrusions fédérales. En effet, grâce au pouvoir fédéral de dépenser, les artistes «sont gâtés des deux bords» déclarait la candidate le 17 septembre dernier. Vues ainsi, les dépenses fédérales auraient l'avantage de permettre aux citoyens en général et aux artistes en particulier de «profiter» des dédoublements de structure en multipliant les demandes de soutien.
Voilà une déclaration des plus méprisantes de la part d'un parti qui s'était pourtant engagé à encadrer le «pouvoir» fédéral de dépenser. À cela s'ajoutent les propos malheureux de la ministre Josée Verner qui défie en ces termes le gouvernement du Québec: «Si pour eux, c'est une catastrophe [les coupures dans le domaine de la culture], si c'est quelque chose qui n'est pas acceptable, ils ont le choix de financer. Nous, on n'a pas mis de conditions sur les transferts. Ils ont le choix de mettre leurs priorités à cet endroit s'ils le veulent.» En d'autres termes, pour la ministre Verner, le Québec dispose de la capacité budgétaire et des pouvoirs fiscaux lui permettant de compenser les compressions budgétaires fédérales.
Argument fondé
Quoique méprisant à l'égard des revendications traditionnelles du Québec, cet énoncé de la ministre Verner est en l'état actuel du fédéralisme canadien parfaitement fondé. L'argument est simple et pourrait se résumer ainsi: tous les gouvernements ont accès aux revenus dont ils ont besoin pour financer leurs dépenses. Si le Québec veut aider les artistes, rien ne l'empêche d'augmenter ses recettes fiscales.
Toutefois, en se positionnant de cette façon, la ministre fédérale s'inscrit en parfaite continuité avec cette forme de fédéralisme «dominateur» qui caractérise depuis longtemps les rapports Québec-Canada. Le fédéral, grâce à ses surplus budgétaires, s'immisce dans les champs de compétences des provinces (en l'occurrence la culture) au moyen de son «pouvoir» fédéral de dépenser, pour ensuite se retirer à l'occasion d'une révision de programme en forçant les provinces à prendre le relais. Cette méthode, souvent employée par les libéraux de Jean Chrétien, ne semble en rien modifiée par la doctrine conservatrice du «fédéralisme d'ouverture». On crée et on abolit unilatéralement des programmes, sans que ces initiatives fédérales ne s'accompagnent d'un droit de retrait pour le Québec et d'une juste compensation.
La «souveraineté culturelle»
Opposé à cette forme de fédéralisme «dominateur», le gouvernement du Québec semble résolu à obtenir de nouveaux pouvoirs en matière de culture, de la langue et des communications. Or, si les intentions du gouvernement Charest sont fort louables, il n'en reste pas moins que les solutions proposées par celui-ci sont nettement insuffisantes.
Soyons clairs: une simple entente administrative comme le réclame le premier ministre Charest ne permettra pas d'atteindre cette «souveraineté culturelle» que ce dernier fait actuellement miroiter aux Québécois. Sans amendement constitutionnel, un tel objectif reste manifestement irréalisable. En effet, sans un tel amendement, le fédéral disposera toujours de son «pouvoir» de dépenser pour créer et abolir unilatéralement des programmes. Il pourra également s'appuyer sur ses compétences législatives en matière de communications afin d'imposer un cadre législatif et réglementaire aux industries culturelles québécoises.
Deux mesures
Pour agir efficacement et en conformité avec les demandes traditionnelles du Québec, le premier ministre Charest a le devoir d'exiger deux choses: premièrement, des modifications constitutionnelles visant à reconnaître la spécificité du Québec et ses compétences particulières dans le domaine de la langue, de la culture et des communications et, deuxièmement, un encadrement constitutionnel du pouvoir fédéral de dépenser pour mettre fin durablement aux empiétements.
Ces deux mesures sont indissociables l'une de l'autre. Autrement, le fédéral pourra toujours créer et abolir à sa guise de nouveaux programmes fédéraux sans que le Québec ne puisse se retirer et récupérer les points d'impôt équivalents aux initiatives fédérales.
Le Québec ne pourra prétendre à la «souveraineté culturelle» tant et aussi longtemps que le fédéral disposera d'un «pouvoir» de dépenser et qu'il conservera de larges compétences législatives dans le domaine des communications. Mise à part la souveraineté du Québec, seul un amendement constitutionnel pourrait permettre de corriger cette situation.
Or, pour le gouvernement Charest, la question constitutionnelle est devenue un véritable tabou. Malgré la présence d'un gouvernement conservateur soit-disant «ouvert» aux demandes québécoises et des partis d'opposition à l'Assemblée nationale, plus que jamais disposés à suivre le Québec dans cette voie, le premier ministre Charest persiste encore à dire que le «fruit n'est pas mûr» pour ce genre de réforme.
Statu quo
Obsédé par la peur de l'échec, le gouvernement Charest en est venu à édulcorer, bien au-delà du raisonnable, les revendications traditionnelles du Québec. Le gouvernement Charest se complaît dans un statu quo constitutionnel qui reste à des années-lumière des demandes contenues dans le rapport Cannon déposé par celui qui est aujourd'hui l'un des principaux lieutenants de Stephen Harper et qui était à l'époque ministre sous Robert Bourassa.
Après avoir profondément et durablement discrédité le Québec dans le dossier du déséquilibre fiscal en transformant en baisse d'impôt les sommes obtenues à titre de règlement partiel, le premier ministre Charest se doit maintenant d'agir avec plus de cohérence dans le dossier de la culture. Pour ce faire, le thème de la «souveraineté culturelle» du Québec est une excellente idée, mais encore lui faudra-t-il formuler des demandes significatives et définir avec précision ce qui est constitutif de cette souveraineté.
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Eugénie Brouillet, Professeurs de droit constitutionnel à la Faculté de droit de l'Université Laval
Patrick Taillon, Professeurs de droit constitutionnel à la Faculté de droit de l'Université Laval
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