La troisième prise de Charest-le-vert ?

États américains - impasse budgétaire


Je l’avoue, je n’étais pas à la rencontre de Lévis sur le Québec économique de 2020. Mais grâce à la magie d’Internet je me suis livré à une comparaison simple :

d’une part, le discours d’ouverture du premier ministre Charest et, de l’autre, le communiqué final qui rend compte des consensus. On y constate un décalage aux couleurs du déjà vu.


1) Le décalage
Dans son discours d’ouverture, M. Charest, après avoir posé son diagnostic sur l’économie québécoise, offre sa vision du Québec de demain:
Je voudrais qu’on vienne au Québec parce qu’on va être la puissance nordaméricaine des énergies propres. Par exemple , on pourrait se fixer comme objectif de devenir la première société d’Amérique du Nord à électrifier son parc automobile et ses transports publics.Je voudrais qu’on vienne au Québec pour étudier. On pourrait se fixer comme objectif de faire faire un nouveau pas à notre système d’éducation : non plus seulement un outil pour notre développement, mais un moyen d’attirer des jeunes de partout.

Je voudrais qu’on vienne au Québec pour s’inscrire dans la nouvelle économie du développement durable et proposer avec nos entrepreneurs et nos innovateurs des solutions qu’on vendra à travers le monde.

Bref, deux grandes idées: L’éducation, et elle sera effectivement reprise et déclinée dans le communiqué final. Mais l’éducation en sandwich entre deux visions vertes: l’énergie verte et l’économie verte. On aurait pu penser qu’avec l’emphase mise sur ce thème dans le discours introductif, il imbibe ensuite l’essentiel du plan d’action. Nenni. Aucune des mesures répertoriées en fin de rencontre ne participe à atteindre l’objectif vert esquissé par M. Charest. En toute fin de communiqué, comme pour réparer un 0ubli, le premier ministre assigne à ses ministres de l’Environnement et des Ressources naturelles la tâche de «proposer au gouvernement des actions à mettre en place» pour l’économie verte. Bref, les mains du premier ministre vert sont vides.
2) Le déjà vu
Lors de son discours inaugural ouvrant son nouveau mandat de gouvernement, le 10 mars 2009, le premier ministre avait entonné le même couplet:
La crise économique n’est pas le seul défi auquel nous faisons face. Cette économie, que tous les pays du monde essaient aujourd’hui de relancer, a fait une si mauvaise utilisation des ressources de la planète qu’elle est devenue une menace. Et il y a aussi la crise environnementale. J’ai la profonde conviction que cette double crise déclenchera la véritable révolution du développement durable. Un meilleur monde en émergera, et le Québec y contribuera.

Pourtant, dans le budget déposé neuf jours plus tard, comme dans l’ensemble de l’action de relance économique entreprise l’année précédente, le premier ministre a complètement manqué l’occasion d’user de ces dépenses importantes pour engager le Québec dans un virage vert — contrairement à ce qu’a simultanément fait Barak Obama dans son propre plan de relance.
Dans un texte à paraître dans le toujours éclairant État du Québec, dont l’édition 2010 arrivera en librairie en mars, le politologue Éric Montpetit (transparence totale: il a codirigé avec moi Imaginer l’après-crise) fait ce triste constat:
Le plan de sortie de crise du gouvernement québécois [... ]ne vise qu’à ramener le Québec à une situation économique identique à celle qui prévalait avant la crise. [...] Cependant, la crise aurait pu permettre une accélération des changements des règles et politiques publiques qui façonnent l’économie. [...] À lui seul, le programme Renfort a permis des investissements de 2 milliards $ dans les entreprises québécoises. Malheureusement, Renfort n’a aucune visée environnementale . C’est-à-dire qu’il finance toutes gammes d’entreprises et d’équipements, certaines qui contribuent sans-doute à la dégradation de l’environnement. Pourtant, les 2 milliards de dollars de Renfort auraient pu constituer un levier extraordinaire pour soutenir la productivité des entreprises engagées dans le développement durable et celles qui font des efforts pour réduire leur impact environnemental, accélérant ainsi la réalisation du plan d’action sur les changements climatiques.
L’empreinte écologique de la rénovation domiciliaire peut être considérable. Malgré cela, l’éligibilité au crédit d’impôt pour rénovation domiciliaire, qui pourrait coûter jusqu’à 250 millions de dollars au Trésor québécois, ne repose sur aucun critère environnemental. Pourtant, l’Agence de l’efficacité énergétique a suffisamment d’expertise en rénovation éco-énergétique pour identifier les matériaux et la nature des travaux nécessaires pour réduire la consommation d’énergie des habitations. En appliquant le crédit d’impôt à ces matériaux et à ces travaux, le gouvernement québécois aurait fait plus que soutenir l’économie en période de crise, il aurait aussi accéléré l’atteinte des objectifs de son plan d’action sur les changements climatiques.
Selon le plan d’action de Québec sur les changements climatiques, le secteur des transports est celui qui produit le plus de GES. [...] Le gouvernement québécois n’a pas saisi l’occasion. En incluant la contribution du gouvernement fédéral, le gouvernement du Québec annonçait, juste avant la crise, un investissement de 4,5 milliards de dollars sur 5 ans dans 7 programmes d’aide au transport collectif. Il s’agit donc de moins de 1 milliard de dollars par année pour des programmes touchant, tant les transports en commun que les déplacements à vélo ou l’adaptation de taxis aux fauteuils roulants. C’est bien peu en comparaison aux investissements provinciaux de 2,7 milliards de dollars dans le réseau routier du Québec en 2008 seulement. Dans le contexte de la crise, l’augmentation des dépenses en transport en commun aurait pu être justifiée par la création d’emplois dans les entreprises québécoises qui œuvrent dans ce domaine d’avenir (pensons à Bombardier). Cela aurait aussi encouragé un changement des habitudes de transport au Québec, contribuant à accélérer la réinvention de l’économie.

3) Vers une troisième prise ?
L’écologiste québécois Harvey Mead, qui fut Commissaire au développement durable du gouvernement Charest en 2007 et 2008, écrivait ces jours derniers dans Le Devoir qu’il craint que le prochain budget québécois, prévu en mars, ne soit encore une fois en retrait des objectifs environnementaux officiellement affichés par le chef libéral.
Il note que le premier fascicule de la consultation pré-budgétaire (que j’ai discuté ici) a une lecture un peu bizarre des objectifs de développement durable pour le Québec:
Le Québec est comparé à l’ensemble des provinces canadiennes en matière de PIB par habitant. On découvre que les trois provinces productrices de pétrole — l’Alberta, la Saskatchewan et Terre-Neuve-et-Labrador — occupent les trois premières places. Leur succès en matière de croissance économique amène les auteurs du rapport à conclure que ces provinces sont plus riches que la nôtre.
On n’évoque aucunement dans ce bilan des provinces productrices de pétrole leur lourd passif, associé à leur contribution aux changements climatiques (pour ne parler que d’eux). C’était le sujet principal de la conférence échouée de Copenhague. En dépit des nombreuses interventions du premier ministre sur ce problème critique qui dominera les vingt prochaines années, il semble que le Québec maintienne l’approche de l’ensemble des acteurs à Copenhague. Les crises écologiques ne devraient pas être mises en corrélation avec l’économie, même si cette économie est «devenue une menace» [comme M Charest l'avait dit dans son discours inaugural]. C’est comme si les crises mentionnées par M. Charest n’existaient pas, tout compte fait.

Il est parfaitement possible de présenter, en mars prochain, un budget québécois qui prolonge la relance économique en y insérant des impératifs écologiques (je suis moi-même allé de quelques suggestions ici). Jean Charest avait le bon discours l’an dernier, mais pas le bon plan de relance. Il avait le bon discours la semaine dernière, mais pas le bon train de mesures. Tout de vert vêtu, le jour du budget, en mars , manquera-t-il la troisième chance de frapper un coup sûr, un coup vert ?

Squared

Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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