Il n’est pas certain que vous allez mourir si vous jouez à la Roulette russe. Vous n’avez qu’une chance sur six. Si vous êtes le premier joueur. C’est étonnant, mais la plupart des gens préfèrent tout de même ne pas y jouer.
Pourquoi les USA jouent à la Roulette russe
Le système politique américain, lui, s’apprête, d’ici le 2 août, à jouer à la Roulette grecque. En effet, en toute probabilité, le Congrès américain refusera de voter pour augmenter la marge de crédit de l’État. Ce faisant, l’État ne pourra assumer la totalité de ses engagements envers ses créditeurs.
Selon les scénarios, il est possible que cela cause un tort immense à la crédibilité américaine sur les marchés… ou non, le gouvernement ayant plusieurs moyens de calibrer le remboursement de ses obligations en choisissant ce qui est urgent et ce qui peut attendre. On ne le saura, comme à la Roulette russe, que lorsqu’on appuiera sur la détente.
L’administration Obama préférerait qu’on n’appuie pas sur la détente, et a donc proposé aux Républicains, qui dominent la Chambre des représentants, un compromis qui ferait en sorte de réduire les dépenses gouvernementales d’une somme significative et d’éliminer, en contrepartie, des niches fiscales.
Pour chaque trois dollars de dépenses coupées, offre Obama, un dollar de revenu nouveau.
Un mot honni: compromis
Compromis honorable dans ce pays parmi les moins taxés en Occident ? Pas pour les Républicains, et je vais vous expliquer pourquoi. Mais pas sans avoir d’abord cité ce que pense du rejet du compromis un des chroniqueurs de droite les plus respectés au pays, David Brooks, dans le New York Times de ce mardi, traduit ici par mon collègue blogueur Richard Hétu:
«Si le Parti républicain était un parti normal, il prendrait avantage de ce moment étonnant. On lui offre le marché du siècle. Des milliers de milliards de dollars en coupes budgétaires contre quelques centaines de milliards de dollars en hausses de revenus.» (…)
«Mais nous ne pouvons pas avoir confiance que ces Républicains saisiront cette occasion. (…) Les membres de ce mouvement n’acceptent pas la logique du compromis, aussi avantageuses que soient les conditions. Si vous leur demandez d’augmenter les impôts d’un pouce pour couper le gouvernement d’un pied, ils diront non. Si vous leur demandez d’augmenter les impôts d’un pouce pour couper le gouvernement d’une verge, ils diront encore non.
«Les membres de ce mouvement n’acceptent pas la légitimité des intellectuels et des universitaires. Un millier d’experts impartiaux peuvent dire qu’un défaut de paiement (de la dette) pourrait avait des conséquences calamiteuses, bien pires que l’augmentation modeste des impôts. Mais les membres de ce mouvement n’y croient pas.
«Les membres de ce mouvement n’ont aucun sens de décence morale. Une nation fait une promesse sacrée de rendre l’argent qu’elle emprunte. Mais les membres de ce mouvement parlent de défaut de paiement comme si de rien n’était et sont prêts à entacher l’honneur de leur nation.»
L’architecture de l’impasse, à droite
Résumé des épisodes précédents: aux élections législatives de novembre dernier, 87 nouveaux représentants républicains ont donné une majorité au parti de droite.
Mais ces élus sont d’une variété nouvelle de conservateurs: des partisans du Tea Party qui jurent de réduire la taille du gouvernement coûte que coûte et qui s’opposent à toute augmentation de revenu. Ils en ont fait, écrit encore Brooks, “une idée fixe et sacrée”.
Depuis plus d’un an, leur poids à l’intérieur du Parti Républicain est suffisant pour traumatiser les élus Républicains modérés. Si ces derniers étaient enclin au compromis, ils risquaient d’être évincés lors du choix du candidat républicain — les fameuses primaires. Ce fut le cas de plusieurs d’entre eux l’an dernier.
Mais voici où la chose devient encore plus intéressante, voici où le piège se referme encore plus fermement: au moins une douzaine des 87 élus de l’an dernier sont menacés d’être évincés l’an prochain (oui, l’élection a lieu tous les deux ans) par d’autres candidats de droite qui leur reprochent d’être… trop mous !
Le New York Times rapportait en effet ce lundi que la soupe se réchauffe, même pour ceux qui se croyaient en tête du mouvement.
“Ce sera plus compétitif” lors des primaires, explique Jenny Beth Martin, co-fondatrice du Tea Party. “Les nouveaux élus qui affirment être du Tea Party ou qui disent appuyer nos idées mais qui n’ont pas tenu parole, ce sera dur pour eux.” Certains d’entre eux, de New York, de Georgie et du Mississipi, qui ont eu le tort de voter pour un projet de loi démocrate sont particulièrement visés. “Les gens sont insatisfaits” dit Martin.
D’autres, qui n’ont rien fait de mal, sont victimes de leurs succès. Élus dans des circonscriptions traditionnellement démocrates et parfois de façon tout à fait surprenante, ils ont fait la preuve que les Républicains pouvaient y triompher. Ces victoires suscitent la convoitise d’autres figures républicaines, qui se verraient bien, tout compte fait, Représentant au Congrès.
Et puisqu’il faut se distinguer pour gagner la primaire, ce sera à qui sera le plus intransigeant.
Un climat pousse-au-crime
Et le climat est à l’intransigeance. Vous ne le savez peut-être pas, mais l’État du Minnesota est fermé depuis le premier juillet. Pas ses frontières, mais ses services publics.
Le gouverneur démocrate refuse d’endosser le budget voté par l’Assemblée à majorité Républicaine qui réduirait les services pour équilibrer le budget. Le gouverneur propose d’augmenter les impôts sur les plus fortunés au cours des deux prochaines années pour préserver des services. (Il y a eu cinq cas d’État fermant leurs portes depuis 2002, pour quelques heures ou quelques jours.)
Le candidat présidentiel Tim Pawlenty, ancien gouverneur de ce même État, mais Républicain, fait jouer depuis quelques jours une publicité où il se vante d’avoir lui-même suspendu les activités de l’État lorsqu’il était aux affaires:
Dans le contexte, cela fait un peu pousse-au-crime, non ?
Le coût politique
L’ex-speechwriter de George W. Bush, David Frum, estime lui aussi que le Parti Républicain est en train de sortir du cercle de la raison. Il écrit ce mardi:
Ils doivent comprendre qu’ils auront un prix politique à payer s’ils forcent les États-Unis à renier ses obligations contractuelles envers ses débiteurs. (…) Le défaut de paiement n’est pas un outil acceptable en politique. La chronique de David Brooks est un manifeste pour le temps présent. Il devrait être cloué sur l’équivalent républicain de la porte d’église où Martin Luther avait cloué le sien.
Sans doute. Sans doute. Mais par un remarquable effet de contagion, lorsque même les élus plus radicaux sont menacés sur leur flanc radical, imaginez comment se sentent les modérés, qui doivent lire ces mots en hochant secrètement de la tête…
Avec la Roulette russe, on a une chance sur six de mourir. Mais si les modérés n’y jouent pas, leur décès politique est plus probable encore.
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En prime, pour vous remonter le moral, la scène de Roulette russe du film The Deer Hunter:
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