Wisconsin : la population américaine appuie les syndiqués

États américains - impasse budgétaire



Maude Messier - Le Wisconsin est l’hôte d’incessantes manifestations depuis maintenant trois semaines. Des dizaines de milliers de manifestants déferlent dans les rues de Madison, capitale de l’État, certains ont même occupé le Capitole pour protester contre le projet de loi budgétaire du gouverneur républicain Scott Walker.
Des syndicalistes canadiens et québécois ont traversé la frontière pour apporter un soutien tangible à leurs collègues américains.
Au Wisconsin, M. Walker prêche pour la responsabilité fiscale, alléguant que des compressions budgétaires s’imposent pour combler le déficit budgétaire du Wisconsin qui s’élève à environ 3,6 milliards $ pour la période 2011-2013. Son projet de loi vise notamment à sabrer dans les salaires, bénéfices et avantages sociaux des syndiqués du secteur public, à abolir la perception automatique des cotisations syndicales, à restreindre le droit à la négociation collective.
De plus en plus nombreuses, les voix qui s’élèvent contre cette attaque anti-syndicale – qui n’est pas sans rappeler, par son ampleur, le licenciement des contrôleurs aériens par Ronald Reagan au début des années 1980 – trouvent écho et appui dans la population.
C’est que la détermination du gouverneur Scott Walker à aller de l’avant pourrait bien faire boule de neige. Les gouverneurs d’autres États ont déjà signifié leurs intentions de suivre ses traces, ce qui n’a pas manqué de soulever un tollé d’un bout à l’autre du pays.
Statistiques favorables aux syndiqués
Un récent sondage effectué conjointement par le New York Times et CBS News révèle que la majorité des Américains appuient les syndiqués du secteur public et s’opposent au projet de loi du gouverneur Walker.
Ce n’est pas tant la cote de popularité des syndicats qui est en cause, mais le fait que la population voit d’un mauvais œil le fait de couper dans le salaire et les avantages sociaux d’une catégorie de travailleurs pour remédier au déficit de l’État (56% contre) et, surtout, le fait de restreindre arbitrairement leur droit à la négociation collective (60% contre).
Mieux encore, si le discours des gouverneurs appuyant les démarches de M. Walker est basé sur la prétention que les employés du secteur public sont surpayés et qu’ils bénéficient de trop généreuses pensions et de multiples avantages sociaux, 61% des répondants estiment toutefois que les conditions de travail de ces salariés sont «correctes» ou «trop basses», compte tenu du travail qu’ils accomplissent.
Interrogés sur les mesures à prendre pour réduire le déficit, les répondants préfèrent même, dans une proportion de deux pour un, une hausse des taxes aux coupures dans les bénéfices des travailleurs de l’État.
45% des répondants estiment que les coupures de salaires et de bénéfices de même que les atteintes aux droits des travailleurs du secteur public préconisées par certains gouverneurs visent à réduire les déficits budgétaires.
41% jugent toutefois qu’il s’agit plutôt d’une manœuvre politique visant à réduire le pouvoir des syndicats. Il s’avère également que 48% des répondants sont d’avis que les syndicats n’exercent pas un trop grand pouvoir dans la sphère politique.
Autre fait intéressant, plus le salaire est élevé, plus les répondants sont en faveur de coupures à l’endroit des employés de l’État. Dans la tranche de ceux dont le salaire annuel s’élève à 100 000 $, 45% se sont prononcé en faveur des coupures. Cette proportion tombe à 35% pour ceux dont le salaire se situe entre 15 000 $ et 30 000 $.
Le sondage téléphonique a été effectué entre le 24 et le 27 février 2011. 984 Américains ont été sondés à travers les États-Unis. La marge d’erreur est d’environ 3%.
Les syndicats canadiens et québécois en appui et aux aguets
Bien entendu, les soulèvements chez les voisins du Sud sont suivis de près par les syndicats canadiens et québécois. « Les employés du secteur public ne devraient pas subir les frais de la crise financière dont ils ne sont pas responsables. Nous sommes ici pour dire que les travailleurs canadiens observent ce qui se passe. Nous n'accepterons pas ce genre de traitement au Canada ou ailleurs dans le monde », a affirmé John Gordon, président de l'Alliance de la fonction publique du Canada, dans un communiqué publié samedi dernier.
Une délégation constituée de représentants de trois syndicats pancanadiens s’est jointe aux manifestants la fin de semaine dernière. L’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC), le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP) et le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) représentent ensemble 750 000 employés du secteur public.
« Utiliser la récession actuelle et une majorité républicaine à l'assemblée législative et au Sénat pour éliminer les droits fondamentaux d'employés dévoués du secteur public est totalement injustifié », a fait savoir le président national du SCFP, Paul Moist.
Le radicalisme et l’entêtement du gouverneur Walker cachent bien mal les intentions politiques sous-jacentes à son projet de loi. Comme le soulignait avec éloquence Paul Krugman dans sa chronique du New York Times le 20 février dernier (notre traduction) : « Ce qui se passe dans le Wisconsin n’est pas à propos du budget, peu importent les prétentions de M. Walker sur la responsabilité fiscale. Il s’agit plutôt d’une question de pouvoir. » Il ajoute que tous ceux qui croient qu’un contrepoids politique à la domination du «political power of big money» est essentiel devraient également se ranger du côté des manifestants.
Krugman souligne que les syndicats constituent le seul groupe de défense des intérêts de la classe moyenne. « Si les États-Unis sont devenus de plus en plus oligarchiques et de moins en moins démocratiques au cours des trente dernières années, c’est en grande partie dû au déclin du mouvement syndical dans le secteur privé. »
En principes, si tous les Américains sont égaux en droits, possédant chacun un poids politique égal, en pratique, « certains sont plus égaux que d’autres ». Les milliards en provenance des intérêts privés et des industries nourrissent grassement le lobbying et financent les « think tank » idéologiques au service des politiciens. Les syndicats, spécialement ceux du secteur public, constituent à cet effet le principal rempart contre cette oligarchie politique.
Les soulèvements du Wisconsin prennent donc les airs d’une bataille à finir entre le mouvement syndical et le pouvoir économique sur fond de crise budgétaire. Impossible de ne pas constater que les prémisses du scénario semblent déjà écrites pour le « remake » québécois de cette production américaine.
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Photo: Flickr - WisPolitics.com - cc)


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