«Ce qu’on demande, c’est un moratoire sur la construction de petites centrales hydroélectriques privées et une véritable réflexion sur l’avenir énergétique du Québec», déclare Réjean Porlier, président du Syndicat des technologues d’Hydro-Québec, en entrevue à l’aut’journal.
En 2006, suite aux pressions et aux nombreuses représentations des élus municipaux, la nouvelle «stratégie énergétique» du gouvernement Charest levait le moratoire imposé depuis 2002 quant au développement de petites centrales hydroélectriques (50 MW et moins) par des entreprises privées.
«Parce qu’on sait qu’il y a des sensibilités sur la question de l’environnement et de la protection des rivières, ce développement se fait de façon prudente et à petite échelle», a indiqué la ministre des Ressources naturelles et de la faune, Nathalie Normandeau, en entrevue téléphonique. Toutefois, Réjean Porlier affirme que la levée du moratoire a déclenché rien de moins qu’une «ruée vers l’or».
Les amis du parti
Le processus d’appels d’offres dans le cadre d’un programme d’achat d’électricité par Hydro-Québec totalisant 150 mégawatts s’est clôturé ce printemps. L’annonce des projets sélectionnés est attendue pour la mi-juin.
Au total, 31 projets ont été soumis à la société d’État. La ministre Normandeau confirme que certains de ces projets sont déjà approuvés, dont les centrales au fil des rivières Sheldrake et Franquelin.
Ces deux projets sont pilotés par le groupe Axor. Or, suite aux révélations de l’enquête menée par Québec Solidaire, la firme de génie-conseil fait actuellement l’objet d’une enquête du DGE pour une affaire de prête-noms reliée au financement du parti libéral du Québec.
L’aut’journal s’est entretenu avec Amir Khadir, député de Québec Solidaire, qui s’indigne de la trop grande proximité entre le gouvernement libéral et les firmes de génie-conseil. «Le gouvernement utilise Hydro-Québec pour détourner des fonds publics vers les entreprises privées.» Il dénonce également que les orientations de la société d’État soient «dictées politiquement», ce qui brime et étouffe, à son avis, le développement d’Hydro-Québec dans des secteurs novateurs.
Enrichir le secteur privé
Les contrats d’achat d’électricité prévoient qu’Hydro-Québec s’engage à acheter les 150 MG d’électricité produites par ces centrales privées à 7,5 cents le kilowattheure.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, cette énergie n’est pas destinée à l’exportation, mais servirait plutôt à combler les besoins énergétiques du Québec selon la ministre des Ressources naturelles.
Pour Réjean Porlier, rien n’est plus faux. «Le Québec n’a pas besoin de l’énergie additionnelle que généreront ces petites centrales. C’est évident qu’il s’agit d’une volonté émanant du gouvernement dans sa politique énergétique et non pas directement d’Hydro-Québec.»
Même son de cloche du côté de Québec Solidaire: «Logiquement, dans l’optique de l’avenir énergétique du Québec, on n’a pas besoin de cette électricité, on est en surplus d’énergie», affirme Amir Khadir.
La ministre Normandeau souligne par ailleurs qu’en plus de «diversifier les sources de revenus des municipalités, parce qu’elles sont actionnaires majoritaires dans ces sociétés de développement, ces projets hydroélectriques permettront aux municipalités de profiter des retombées économiques à court et à long terme.»
«Investissements, construction, participation, retombées économiques, c’est sûr qu’ils ne disent pas non à ça. On les comprend, les bénéfices qu’elles en tirent leur permettent de faire du développement régional. C’est de l’argent facile: l’entrepreneur se présente avec le projet, le réalise, ils empochent», explique le président du Syndicat des technologues d’Hydro-Québec.
Sans s’opposer au développement régional, le syndicaliste estime cependant que le véritable intérêt de ces projets hydroélectriques est tout autre. «C’est plutôt de l’intérêt économique des promoteurs privés qui jouissent d’une entente à risque zéro dont il s’agit. Comme un cadeau…»
Tout comme Amir Khadir, Réjean Porlier dénonce le fait que les deniers publics financent la rentabilité de ces entreprises privées alors que le Québec n’a pas besoin de cette énergie et que ces contrats d’achat d’électricité hypothèquent et freinent le développement du Québec pour une vingtaine d’années.
«Avec tout ça, on ne change pas de modèle économique. Ces centrales sont tout autant d’opportunités ratées de réorienter l’économie québécoise vers des secteurs d’avenir», déclare le député de Mercier.
Alors pourquoi concéder cette production énergétique aux entreprises privées plutôt que de profiter de l’expertise publique d’Hydro-Québec? «C’est un choix qu’on a fait», répond la ministre Normandeau, en ajoutant qu’il s’agit d’un levier économique important pour les municipalités et que cela répond à leurs demandes répétées de participer à la création de la richesse. «Ça permet à ces communautés de développer une expertise en hydroélectricité et de diversifier le portefeuille énergétique du Québec.»
Pour Amir Khadir, le développement régional, la création d’emplois et les investissements ainsi fournis aux municipalités ne sont que des prétextes à cette trop grande proximité avec le milieu des affaires et les firmes de génie-conseil qui engendre du favoritisme.
Si les partenariats avec les municipalités constituent une initiative intéressante, il insiste sur le fait que cette avenue est tout autant possible dans le public, ce qui permettrait en outre de s’assurer que les bénéfices et les retombées de ces investissements retournent réellement à la collectivité et non pas «dans les poches des amis du parti.»
«En admettant qu’on aille de l’avant avec ces projets hydroélectriques même si nous n’en avons pas besoin, pourquoi le faire au privé? On pourrait, pour les mêmes raisons, les réaliser avec toute l’expertise et la compétence d’Hydro-Québec.»
Développement chaotique
Réjean Porlier désespère de voir le gouvernement favoriser du développement économique volatile et non durable. «Le développement énergétique du Québec est anarchique. C’est n’importe où, n’importe quand, même si on n’en a pas besoin. D’ailleurs, ça vaut pour toutes les formes d’énergie, éolien compris. Rien n’est fait ni pensé en fonction d’un plan ni d’un besoin concret. Pas de stratégie, pas de projets d’avenir.» Juste des profits pour les amis.
Toute forme de projet de développement énergétique a inévitablement des répercussions sur l’environnement. «C’est inévitable. La question, c’est de faire tout ça intelligemment dans une perspective globale, qui tient compte des besoins réels des Québécois et des Québécoises. Mais surtout, développer de façon à ce que les bénéfices retournent à la société. Ce n’est pas ce qui se fait actuellement.»
À l’heure où le gouvernement Charest impose de lourdes compressions et des mesures budgétaires restrictives, «c’est injustifiable et indécent de demander à Hydro-Québec d’acheter de l’électricité dont on n’a pas besoin pour enrichir des entreprises privées!», s’insurge M. Porlier.
C’est aussi l’opinion de Québec Solidaire, dont le co-chef affirme que si de tels projets se réalisaient dans le cadre du secteur public, l’argent et l’expertise demeureraient au service des intérêts des Québécoises et des Québécois. «Hydro-Québec doit être plus active dans le développement d’innovations et cesser d’être contrainte par des partenariats public-privé qui engendrent pertes, retards et surfacturation.»
Plusieurs voix s’élèvent contre les PPP qui, quoiqu’on en dise, ne contribuent pas à la richesse collective du Québec. Même le vérificateur général émet de sérieux doutes quant à l’efficacité et le bien fondé des PPP. Dans un rapport datant de novembre 2009, il allègue que le gouvernement Charest fonde ses politiques sur des principes idéologiques plutôt qu’économiques.
Malgré tout, le gouvernement continue d’éreinter la société d’État et de «lui suggérer des décisions d’affaires qui n’ont rien à voir avec les intérêts de la collectivité», comme le souligne Réjean Porlier. Sous l’influence de pressions partisanes et pour enrichir le milieu des affaires, ce gouvernement freine invariablement le développement du Québec et hypothèque son avenir.
À ce propos, le dirigeant syndical cite le prof Lauzon qui rappelle qu’Hydro-Québec contribue à elle seule autant aux revenus annuels du gouvernement québécois que l’ensemble des 300 000 compagnies «imposables» de la province. Alors qu’elles ne paient que 3 milliards de dollars en impôts sur le revenu et en taxes sur le capital, le gouvernement du Québec subventionne pourtant ces compagnies à hauteur de 5 milliards de dollars.
«Alors pour la contribution des entreprises privée à la création de la richesse collective, on repassera», conclut Réjean Porlier.
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