La méthode pour accéder à l'indépendance fait ces temps-ci l'objet de propositions sur la place publique. Ces propositions ont ceci en commun que, faites en dehors du Parti québécois, elles restent encore inscrites dans l'orbite péquiste. D'où la pénible impression de déjà-vu qui s'en dégage et leur effet déprimant sur les centaines de milliers d'indépendantistes incapables de croire encore au PQ, qui ont compris que la « souveraineté » n'est plus dans ce parti qu'une grosse hypocrisie et qui refusent le jeu de dupes auquel il les soumet d'élection en élection.
Les propositions de Gérald Larose (gouvernance souverainiste), de Denis Monière (référendum « classique »), du SPQ-libre (référendum d'initiative populaire) et maintenant de Gilbert Paquette, bien qu'elles comportent des critiques fortes et méritées à l'endroit du PQ et même des éléments positifs incontournables, restent néanmoins autant d'appels lancés à ce parti pour qu'il s'amende et remette l'indépendance à l'ordre du jour. Le PQ a beau montrer tous les signes d'une renonciation à l'indépendance, on persiste à l'interpeller comme s'il n'y avait de solution que par lui et qu'il demeurait à jamais le maître des clefs. (Quand au « pacte électoral » de Claude Bariteau, qui veut ériger plutôt le RIQ en maître des clefs, j'en ai montré ailleurs les défauts : [« Les élections et l'indépendance »->10362], Vigile, 17 novembre 2007.) Ce péquisme critique, c'est encore du péquisme. Malgré ses montées de lait, il considère le PQ comme étant le parti de référence. L'horizon s'éclaircit au contraire dès qu'on sort de ce champ gravitationnel et qu'on reconnaît que le mouvement indépendantiste réel est d'ores et déjà en train de s'organiser en dehors du PQ.
Aussi longtemps que la discussion sur la stratégie indépendantiste gravite ainsi autour du PQ, elle est réduite à n'inventer que des demi-mesures ou des solutions défectueuses. La dernière suggestion en date, celle de Gilbert Paquette, ne fait pas exception : [« Pour une élection sur les projets et les pouvoirs du Québec »->11598] (Vigile, 4 février 2008). Il s'agit hélas d'un couplet de plus dans la même supplique adressée au PQ pour qu'il se ressaisisse. Et ce couplet est entaché de contradictions majeures.
Comme les autres, il refuse de reconnaître l'idée décisive qui est que l'indépendance se déclare, elle ne se négocie pas, ni ne se rapatrie. À moins de parler pour ne rien dire ou pour tromper les gens, faire de la politique indépendantiste veut dire faire élire des hommes et des femmes qui déclareront l'indépendance de l'État québécois une fois à l'Assemblée nationale et qui gouverneront sans attendre en fonction effectivement des grands enjeux nationaux (Québec français ; intégration des immigrants ; contrôle national des ressources naturelles ; investissement massif dans le savoir ; etc.).
Avec raison, Paquette reproche à la « démarche souverainiste » son « absence de détermination » et il veut qu'elle « congédie l'étapisme référendaire à la Claude Morin ou nouvelle vague ». À la place, il propose ceci : « avoir le courage de mettre des enjeux nationaux qui nécessitent un rapatriement des pouvoirs d'Ottawa au cœur de la prochaine élection et de toutes celles qui suivront ».
« Rapatrier les pouvoirs », vraiment ? On est là en pleine logique de négociation avec Ottawa, de « quémandage », attitude que dénonce par ailleurs Paquette avec raison. Augmentons seulement notre pouvoir de négociation auprès d'Ottawa en osant « mettre des enjeux nationaux […] au cœur de la prochaine élection et de toutes celles qui suivront ». On a déjà joué dans ce film, non ? Ce n'est pas parce qu'on change le référendum par des élections qu'on échappe à l'étapisme.
Claude Morin, artisan de la stratégie étapiste, voulait lui aussi qu'on aille chercher morceaux par morceaux auprès d'Ottawa des « souverainetés » partielles : en matière sociale d'abord, culturelle ensuite, économique enfin. Le mot « étapisme » vient de là, d'où l'idée de négociations sectorielles avec Ottawa et de référendum pour augmenter notre bargaining power. Tout cela se tient. La définition de l'indépendance comme « pouvoirs rapatriés » est foncièrement étapiste, même si le vice-président des Intellectuels pour la souveraineté s'en défend.
Entre des souverainetés et la souveraineté, il n'y a pas continuité. Il y a une différence de nature entre les deux, la même qui distingue justement province fédérée et État indépendant. Le fait, pour un État fédéral, de céder des compétences à une province ne fait jamais de cette dernière un État indépendant — pas plus qu'on fait d'une minorité nationale un État-nation en la tolérant davantage. Demander des souverainetés supplémentaires à l'État fédéral n'est pas un « geste de souveraineté », c'est au contraire un geste d'allégeance à la souveraineté de cet État et le refus d'exercer la sienne propre. La preuve est que ces souverainetés partielles consenties aujourd'hui, l'État canadien resterait libre de les reprendre demain sans émouvoir en rien le droit international.
Ce saucissonnage se confirme quand Paquette parlent d'élections multiples sur les pouvoirs du Québec. Après avoir dit qu'il faut « mettre les enjeux nationaux du Québec au cœur de la prochaine élection », il ajoute « et de toutes celles qui suivront » ! Une élection sur les pouvoirs fiscaux, disons, une suivante sur le contrôle des télécommunications, puis sur ceci, sur cela... On a eu la thèse des référendums sectoriels, on a maintenant celle des élections sectorielles.
Qu'en est-il, non des pouvoirs, mais du pouvoir. Puisqu'il s'agit en effet de « mettre des enjeux nationaux au cœur de l'élection », primo, pourquoi ne pas y mettre l'enjeu national prééminent, celui du pouvoir souverain lui-même ? Pourquoi écarter toujours cet enjeu-là de l'élection ? Sans doute parce qu'on s'enferme dans une vision provincialiste où le Canada figure le dispensateur de tous les pouvoirs. Cela ne peut pas être de l'indépendantisme, car l'idée d'indépendance porte l'idée qu'on n'a pas de permission à demander à personne.
Secundo, que peut vouloir dire mettre l'indépendance « au cœur de l'élection » si ce n'est présenter aux Québécois des candidats à élire qui feront l'indépendance une fois au gouvernement ? Dans une élection réelle, les citoyens élisent des candidats, pas des idées (sinon indirectement bien sûr). Sur le bulletin de vote, aucune idée n'apparaît (ni pouvoirs sectoriels, ni enjeux nationaux) : que des noms vis-à-vis desquels l'électeur coche son choix. L'essence des élections en démocratie représentative est de déterminer les gens à qui l'on confie le pouvoir de décider. Du coup, faire une élection sur l'indépendance ne peut vouloir dire autre chose que de proposer aux électeurs des candidats qui déclareront l'indépendance une fois élus ? Sinon, ce n'est tout simplement pas vrai qu'on propose l'indépendance aux électeurs.
Cette déclaration d'indépendance est l'acte législatif décisif, sine qua non, l'acte même d'indépendance. Sur le plan international, par exemple, les autres nations n'auraient sinon rien à reconnaître du tout. Le mutisme qu'observent là-dessus les participants au débat est symptomatique de leur péquisme malgré tout. Depuis plus de trente ans, le PQ endort avec des formules creuses du genre : « enclencher le processus devant mener à la souveraineté » et autres langueurs monotones.
Faire l'indépendance
La solution ne passe plus par le PQ
Réponse à Gilbert Paquette et à quelques autres
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7 commentaires
Archives de Vigile Répondre
16 avril 2008Un bémol Monsieur Gervais.
Je cherche à savoir quel rapport de force le PI compte avoir ? Celui de Françoise David de Québec Solidaire ? Celui de Mario Dumont de l'ADQ ? Regardez qui est au pouvoir en ce moment. Je sais que le PQ n'était pas parfait, loin de là.
Mais vous savez quoi ? Je m'ennuie de Bernard Landry. Je m'ennuie de Lucien Bouchard, malgré ses horribles défauts et ses incroyables erreurs stratégiques face à la question québécoise. Vous me faites parfois penser à Ralph Nader qui a préféré faire batttre Al Gore au dépends de Bush. On connaît la suite de l'histoire.
C'est très bien de parler d'indépendance. Mais encore cette saprée question. Oû est donc le rapport de force du PI ou de tous ces mouvements politiques fractionnés ? Tout le monde chacun dans son petit coin avec ses petits jouets. Pendant ce temps Jean Charest ronronne d'aise et rigole à gorge déployée.
Comprenez-moi bien. Je ne dis même pas que vous avez tort dans le fond, mais si votre rapport de force est nul, complètement nul, cela donnera les mêmes résultats que Québec Solidaire; la division et encore plus de recul et de statu quo. Et ne venez surtout pas me dire que ce n'est pas cela qui s'est passé aux dernières élections.
Pierre Bourgault du RIN avait un rapport de force parce qu'il avait fait battre des fédéralistes dans les années 60. Est-ce que ce sera le cas du PI ? Qui ferez-vous battre ? Des fédéralistes purs et durs ?
Nous ne sommes pas en 60 Monsieur Gervais et le rapport de force joue maintenant contre nous. J'ai l'impression que personne au PI,ou à Québec Solidaire ne comprend le poison que nos adversaires nous administrent. L'ADQ est le plus bel exemple. Alors la question est posée. Est-ce que le PI servirait à faire battre des Adéquistes, des Libéraux et des fédéralistes? Peu probable hélas.
Archives de Vigile Répondre
7 février 2008Monsieur Gervais,
Quel soulagement que de voir la clarté de pensée émerger au-dessus de la lente "embrumisation" des esprits opérée par le PQ et consorts. Il faut des voix fortes et réfléchies comme la vôtre pour démasquer les imposteurs.
Je trouve personnellement qu'il y a un effort sans précédent, concerté, pour embrouiller les pistes, et démontrer que tout s'équivaut.
J'ai eu une réaction épidermique vis-à-vis le rapatriement des pouvoirs suggéré par M. Paquette, et votre texte met en lumière pourquoi les indépendantistes ne peuvent se retrouver dans sa proposition.
Bravo!
Archives de Vigile Répondre
6 février 2008Bravo M. Gervais, vous avez raison, la solution c`est l`indépendance pas le P.Q. Tous pour un et un pour tous.
Frédéric Picard Répondre
6 février 2008Je refuserai toujours la pensée binaire. 1 ou 0. Noir ou blanc. Indépendantiste ou Fédéraliste Trudeauiste. Il y a quelque chose de fondamentalement malsain là dedans. Le Pape pense comme ça. George Bush aussi.
Dans le cas de votre parti, cela vous condamnera à errer des années, sans faire la pédagogie pragmatique de l'indépendance, sans la réaliser. Vous en serez toujours à vendre des modèles théoriques, inspirés par la mode et la passion du moment. Qu’avez-vous réalisé d’indépendantiste ? Donnez nous des exemples concretisés, des réussites, d’une gestion indépendantiste?
Dans cette mesure, votre approche est drôlement dangereuse, car dénuée totalement d’expérience pratique. Vous pensez que le Québec se batira en 7 jours ? La tâche à abattre est colossale pour devenir un état. Le fédéral a plus de 600 lois, 3000 règlements. Un Québec national aurait un budget entre 80-100 milliards. Ça ne se construit pas du jour au lendemain.
Tout comme le PQ, vous mettez l'indépendance sous une cloche de verre. Vous remplacez tout simplement le mot référendum par élection. Toutefois, ce serait un leurre de croire que la somme de travail à abattre, dans les coeurs des Québécois, en serait diminuée. Vous parlerez aux convaincus, soit. Quand-est-il de ceux à convaincre ?
Ah, oui, j’oubliais, pas besoin de convaincre 50 %+1 au PI. Lorsque vous aurez prêté serment d’allégeance à la reine du Canada, vous devrez soumettre votre déclaration d’indépendance à l’assemblée nationale. Vous l’adopterez sous le bâillon? Pour que votre projet de loi de déclaration d’indépendance soit réglementaire, il devra passer sous la loupe du Lt.g, un fonctionnaire d’Ottawa. Puis, après, vous vous attendrez que le Canada reconnaisse la légalité dudit projet de loi adopté sous bâillon (sans sanction du lt.g), sans le contester devant la cour suprême. Finalement, vous supposez que le Canada laissera partir une de ses provinces sans broncher, alors qu’une majorité de gens n’ont pas voté pour ladite indépendance. Ainsi, vous proposez un Québec sans défense à un envahisseur notoire. Résumons les interventions de notre bon Canada : Les Patriotes, La rivière rouge, La McLaren, Les émeutes de 1917, la conscription de 1942, la crise d’octobre, ainsi que toutes les opérations secrètes dénoncées par JRM sauvé. Ça, c’est sans compter l’espionnage et la veille constante du gouvernement fédéral.
Il existe un mot pour décrire votre parti : UtoPIste.
Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre
6 février 2008Monsieur Jodoin, ing.
Des intervenants de votre calibre - portés vers l’ACTION et pas seulement des mots, encore des mots, toujours des mots - sont absolument essentiels sur un site comme Vigile. Merci,
Archives de Vigile Répondre
6 février 2008Bravo monsieur Gervais, et merci.
Les images en disent très long. (Mopn père était publiciste
en radio-télévision; alors, j'ai en vu beaucoup de ces
concoctions-qui-veulent-aguicher.)
Monsieur Paquette illustre justement sa prestation avec un
titre et un gâteau qui en disent long sur sa détermination
et sur la force de ses idées. C'est encore du "on ne veut pas
déranger", "vous voyez, on est gentils", "un p'tit pain, svp".
Ouaip! Et voilà pourquoi les fédés n'oint pas à le prendre
au sérieux. Parlant d'images révélatrices: dernièrement, j'ai
vu les sites de deux organisations indépendantistes(disons),
qui nous font voir, justement, où ils en sont sur la question
de l'infantilisme politique. Sur l'un, on voit une jolie petite
fille (8 ans max) qui rêve de fleur-de-lys => en couleur! Sur
l'autre, c'est un petit garçon (4 ans max) qui flotte dans un
bain ouaté de fleur-de-lys, pas même besoin d'en rêver, on s'y
noit. A quoi ont pensé, dites-moi, ceux qui ont conçus de telles
représentations de LA CAUSE? Gâteau (mous+sucré), fillette (rêve
sans réalité palpable), garçonnet (flottant dans une nébulosité
feutrée)? "Surtout, on ne veut pas déranger; voyez, on ne fait
pas de bruit, même pas un son." Chchchchch, ... on dort au gaz.
Il serait temps que TOUS les Indépendantistes dignes de ce nom
manifestent la force (de caractère ++) requise pour la Victoire!
Claude Jodoin, Ing.
Archives de Vigile Répondre
6 février 2008Superbe texte monsieur Gervais.
Il n'y a pas de contradiction dans le vôtre.
C'est clair, net et précis.