Catherine Harel-Bourdon, présidente de la CSDM, a surement cru avoir une bonne idée en proposant de créer une prime pour le personnel enseignant oeuvrant dans des classes difficiles. Elle voulait ainsi régler ses problèmes de recrutement et assurer une certaine stabilité pour ces classes. Elle était loin de se douter qu’elle ouvrait une boîte de pandore et qu’elle enclencherait une vive réaction du syndicat d’enseignants.
Mon collègue, Jonathan Trudeau, me titille quand il présente la rigidité syndicale comme la cause de différents problèmes dans les services publics, comme si la rigidité n’était que l’apanage des syndicats. Je crains toutefois que la présidente de l’Alliance des professeurs de Montréal ait ajouté de l’eau à son moulin en manifestant sa réprobation et en ridiculisant la proposition de madame Harel-Bourdon. Le problème soulevé par celle-ci est pourtant réel et persistant depuis plusieurs années. Il a d’ailleurs fait régulièrement l’objet de discussions dans différents forums. J’ai, entre autres, souvenir qu’une proposition semblable à celle de madame Harel-Bourdon avait été déposée au congrès de l’Internationale de l’éducation qui regroupe près de 500 syndicats de l’éducation répartis dans plus de 150 pays.
Tel un Ponce Pilate qui s’en lave les mains, la première réaction du ministre Proulx retournait la responsabilité à la commission scolaire en prétendant que cela relevait de son autonomie et de ses budgets. Il s’est ensuite ravisé en mentionnant qu’il n’octroierait pas de budgets pour une telle prime, après qu’il ait réalisé que les paramètres de la rémunération des enseignants, comme des autres employés du secteur public, sont déterminés en négociation entre le gouvernement et les centrales syndicales.
L’esbroufe, entre la présidente de la commission scolaire et celle de l’Alliance des professeurs, illustre les difficultés des parties à discuter dans un cadre de résolution de problèmes. Les complications soulevées par madame Harel-Bourdon sont réelles et s’avèrent encore plus percutantes dans un contexte de rareté ou de pénurie d’enseignants. Ces derniers auront tendance à postuler sur des postes moins exigeants ou à demander une mutation pour éviter de se retrouver dans ces classes difficiles. En bout de course, ce sont les élèves qui ont le plus besoin de l’école qui en paient le prix avec ce défilé d’enseignants dans leur classe ou encore plus dramatiquement l’absence de professeurs aguerris.
De son côté, la présidente du syndicat n’a pas tort en considérant que la solution avancée par l’autorité scolaire est inappropriée et difficilement applicable. La première contrainte serait dans l’identification de ces classes qualifiées « difficiles » qui risquent de se multiplier à l’infini pour maintes considérations plus ou moins reliées aux élèves qui les fréquentent. De plus, les compensations monétaires n’ont généralement pas d’effet sur la qualité du travail. Il ne faut pas être devin pour l’anticiper, on n’a qu’à observer les milliers d’enseignants qui réduisent volontairement leur temps de travail et par conséquent leur revenu, pour tenter de survivre dans le réseau scolaire.
Le sociologue français, Jean-Philippe Bouilloud, spécialiste des organisations et du « beau » au travail pourrait être éclairant pour les parties dans ce cas précis. Pour lui, le travail doit prendre du sens et être relié à la dignité de l’individu. En empêchant ou en nuisant à la capacité de faire un beau travail, on affecte la dignité de la personne et la compenser monétairement se révèle inutile. L’employeur devrait plutôt s’employer à créer les conditions adéquates pour que l’enseignant puisse remplir sa mission d’enseignement et lui fournir, ainsi qu’aux élèves, l’aide et le soutien nécessaires.
Ce ne sont pas dans les dollars donnés à un enseignant abandonné à lui-même dans une classe difficile que réside la solution, mais bel et bien dans l’environnement gagnant créé autour de cet enseignant et dans sa satisfaction de pouvoir faire le travail pour lequel il a été embauché.