«We the People.» Les premiers mots de la Constitution américaine sont sans équivoque: le pouvoir, aux États-Unis, appartient aux citoyens... ou du moins était-ce le cas jusqu'à tout récemment. Car dans la plus pure tradition des westerns qui ont raconté ce pays, c'est avec un Colt sur la tempe que le président Bush les a dépouillés de ce droit pourtant fondamental.
Voilà la thèse défendue par l'ancien vice-président Al Gore dans son percutant essai The Assault on Reason. Empruntant à la diatribe, au brûlot et au pamphlet, l'auteur lance un appel au réveil à ses compatriotes... tristement endormis devant leur téléviseur.
Car les Américains, déplore l'auteur, sont scotchés devant le petit écran plus de quatre heures et demie chaque jour, une habitude qui nuit grandement au sain fonctionnement de l'Amérique (Al Gore a créé Current TV, une chaîne de télé interactive qui, selon lui, contourne les défauts de la télé généraliste). En abandonnant l'écrit pour la télé, ce médium à sens unique qui proscrit tout engagement civique, les citoyens ont laissé leur cerveau s'atrophier, ils ont perdu leur sens critique... ils sont devenus aussi manipulables que des moutons.
Résultat: «la démocratie est aujourd'hui en danger», écrit Gore.
La peur, le fanatisme, l'argent, la religion, voilà autant d'ennemis de la raison que l'administration Bush s'emploie à utiliser contre son peuple... qui ne réagit même plus, trop occupé à suivre les péripéties de Paris Hilton.
Main dans la main avec la grande industrie (militaire, pétrolière, pharmaceutique, etc.), utilisant le mensonge, la mauvaise foi et la corruption, l'administration Bush et ses faucons ont ainsi eu la plus grande facilité à manipuler les Américains ces dernières années, à leur faire croire ce qu'ils voulaient.
Pour preuve, Gore cite ce sondage qui, lors de l'invasion de l'Irak, révélait que 70% des Américains étaient persuadés que Saddam Hussein était à l'origine du 11 septembre...
Or, lorsque les pères fondateurs du pays ont rédigé la constitution, rappelle Gore, leur intention était justement de permettre aux citoyens d'empêcher les excès des élus au pouvoir. Aujourd'hui, ils n'en sont tout simplement plus capables. Ils permettent ainsi à leurs dirigeants d'attaquer un pays qui ne représente pas une menace, d'ignorer les preuves irréfutables du réchauffement climatique, de saper l'image internationale des États-Unis, d'abandonner un à un les traités pourtant signés en connaissance de cause...
Des solutions à la crise
Impressionnante diatribe politique, Assault on Reason est aussi une oeuvre pédagogique et historique. L'auteur rappelle en effet les bases sur lesquelles ce pays aux grands idéaux est né, comparant l'histoire et l'actualité récente avec une érudition surprenante. Puis il présente ses propres solutions à la crise qu'il dénonce.
Mais autant la démonstration est efficace et inattaquable, autant la conclusion du livre laisse à désirer. Gore conclut en effet sur une note surprenante qu'il n'étaye pas suffisamment pour convaincre: l'écrit a permis à la démocratie américaine d'exister, la télé l'a pervertie, internet lui redonnera ses lettres de noblesse. Il importe donc, à son avis, de se battre dès maintenant pour empêcher que ce médium ne soit récupéré par les corporations, l'argent et les élus. Il en va de l'interaction des citoyens avec leurs représentants.
Si l'homme a l'intention de briguer la présidence, il cache visiblement bien ses intentions...
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The Assault on Reason
Al Gore
The Penguin Press, 307 pages
"The Assault on Reason" - Al Gore
La raison sous attaque
Résultat: «la démocratie est aujourd'hui en danger», écrit Gore.
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