Il y a quelque chose de profondément déprimant, au sens littéral du terme, autour de ce débat sur l'existence ou non de la nation québécoise. Qu'on me permette un aveu: le fait de n'avoir personnellement jamais été prénommée par mon père, personnage extravagant dont j'ai tiré parti en devenant romancière (une thérapie en vaut bien une autre), me rend le débat plus insupportable encore. C'est peu dire que les refus de nommer me hantent.
Ne pas reconnaître que le Québec forme une nation au prétexte qu'on rejette la souveraineté est une position idéologique aveuglée et, disons-le, méprisante. Les mots ne sont jamais innocents. Le non-nom, de même que le nom qu'on vous attribue, n'est pas étranger à l'affirmation identitaire. Refuser de nommer l'autre, c'est en quelque sorte nier son existence. Bien sûr, le débat sur la nation québécoise est le talon d'Achille du Canada. Pour certains, cette reconnaissance nationale serait le cheval de Troie de l'indépendance. C'est d'ailleurs ce que croit, à l'instar de plusieurs de ses adversaires, Bernard Landry. Pour Michael Ignatieff, par contre, cette reconnaissance ne mène pas obligatoirement à l'indépendance puisque les nations ne sont pas toutes devenues des pays indépendants. Qu'on pense aux Écossais, aux Gallois, aux Catalans. Cet engagement à reconnaître le Québec en tant que nation de la part du candidat-vedette à la direction du Parti libéral du Canada est une bombe à retardement, un pétard mouillé ou une tentative d'élever enfin le débat au niveau où il devrait se situer, celui du respect et de l'ouverture d'esprit.
Le Canada, pays par ailleurs exemplaire aux yeux du reste du monde, demeure un lieu paradoxal où les méandres de la politique sont incompréhensibles aux observateurs extérieurs. Il faut chercher longtemps pour trouver un autre pays qui fonctionne alors que sa composante la plus distincte, en l'occurrence le Québec, qui regroupe un de ses peuples fondateurs, n'est pas incluse comme telle dans sa constitution, alors que la participation de cette dernière n'a pas été nécessaire pour rapatrier et ensuite réformer ladite constitution. Il faut chercher longtemps un pays au Parlement duquel siègent les élus d'un parti sécessionniste qui prône l'éclatement de ce même pays. Enfin, il faut chercher longtemps un pays où les armes de la guerre sont des mots tour à tour interdits, déformés, enflés, évasifs ou tabous. Et dans ce triste épisode où l'insulte se confond parfois à l'opposition des idées, les intellectuels cèdent à l'aveuglement. M. le professeur Stéphane Dion est trop instruit pour venir prétendre devant le peuple (existe-t-il d'ailleurs selon ses catégories?) que la dispute autour du mot «nation» est affaire de sémantique.
Le «sésame»
Sans être dupe de l'engouement de libéraux de mouvance Trudeau-Chrétien reconvertis Ignatieff pour la nation québécoise qui provoquait leurs haussements d'épaules par le passé et qui aujourd'hui leur ouvrirait, croient-ils, tel le «sésame», le coeur des électeurs québécois déserteurs, on peut reconnaître une vraie conviction chez le candidat à la direction. Michael Ignatieff, cet intellectuel lettré, aristocratique et séducteur, est le Trudeau du PLC en ce début du XXIe siècle. Mais c'est un Trudeau sans le «Just watch me!», un Trudeau sans le poids historique et culturel du Canadien français «né pour un p'tit pain», qui y a échappé et qui se sent non pas coupable mais agacé par ce destin de perdants. La négation de la nation québécoise n'est pas un fantasme ni une obsession pour Ignatieff.
Ces jours-ci, il faut éviter de lire les lettres à l'éditeur dans les journaux de langue anglaise du reste du Canada. Des Ukrainiens de l'Ouest se déclarent une nation, des Pakistanais de Saskatoon exigent une forme de reconnaissance ethnique, bref, le délire balaie les plaines, traverse les Rocheuses et rebondit tel un boomerang en Ontario. Ces réactions, prévisibles, indiquent que le Canada anglais tolérera difficilement de se faire replonger dans les psychodrames des référendums ou même de Meech. Michael Ignatieff s'apprête à leur administrer un électrochoc avec la reconnaissance du Québec en tant que nation, une évidence si criarde qu'elle rend la polémique quasi humiliante (encore une fois, diront plusieurs) pour les Québécois. Si Ignatieff sort gagnant de cette course à la chefferie, le premier ministre Stephen Harper devra user de séduction constitutionnelle pour gagner le coeur des Québécois et, du même coup, conserver le pouvoir.
L'évidence ne s'impose jamais. Aux yeux d'une très grande majorité de Canadiens anglais, le Québec ne constitue pas une nation. Normal, penseront certains. Le drame est qu'au sein même de la société québécoise, des Québécois refusent de se définir comme une nation. Lorsqu'on n'arrive même pas à s'entendre sur le «qui sommes-nous?», comment définir le «où allons-nous?»? Qu'est-ce que le Québec? Ni un pays, ni une nation, ni un peuple, ni un rêve? Au secours!
denbombardier@vidéotron.ca
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