La mondialisation est à la fin d'un cycle

Entrevue avec l'historien Harold James

Crise économique mondiale - Sommet du G20 de Londres - avril 2009

Qui a dit que la mondialisation était inévitable? Le monde vient de connaître sa dernière grande phase de mondialisation, soutient l'historien américain Harold James, qui enseigne à l'Université Princeton. Cette phase s'achève avec la crise financière, et ce ne serait ni la première ni la dernière fois que la libéralisation des échanges prendrait une pause, affirme ce spécialiste de l'économie allemande de l'entre-deux-guerres. La mondialisation serait donc à l'aube d'une pause, en attendant une nouvelle phase d'expansion. Bien malin qui pourrait prédire quand.
À la faveur de la crise, le protectionnisme est-il de retour?
Oui, ça ne fait pas de doute. C'est particulièrement évident en ce qui concerne le marché du travail, mais le protectionnisme se manifeste aussi dans les échanges commerciaux. Au G20, en novembre dernier, tous les chefs d'État se sont prononcés contre le protectionnisme. Mais, sitôt rentrés chez eux, ils ont adopté des mesures protectionnistes.
Bien sûr, il y a des règles en place. L'OMC (Organisation mondiale du commerce) impose des limites à ce qu'il est possible de faire pour protéger son marché. Les États-Unis ne pourront pas appliquer la clause «buy american» aux pays avec lesquels ils ont des traités. Mais les pays ont d'autres moyens de se protéger et ils vont les trouver. Par exemple, le lieu d'implantation des usines automobiles n'est pas couvert par les accords internationaux.
Les États-Unis risquent de se tourner de plus en plus vers eux-mêmes. Les banques qui reçoivent le soutien de l'État vont aussi subir des pressions pour concentrer leurs activités au pays. La plus grande banque américaine, la City Bank, est présente dans une centaine de pays. Elle est aujourd'hui devenue le symbole de l'échec. Il ne serait pas surprenant qu'on lui demande de se concentrer sur le marché américain.
Depuis 15 ou 20 ans, on disait que la mondialisation était inévitable. Elle ne l'était donc pas?
La mondialisation n'est pas inévitable. Il y a des périodes où elle se développe et d'autres où elle régresse. Nous sommes au début d'une période de ce type. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, nous avions connu de fortes poussées d'intégration auxquelles la Première Guerre mondiale a mis fin. Les tentatives de relancer cette intégration dans les années 1920 ont mené à la désintégration rapide du système après 1929.
D'une certaine façon, la situation actuelle est plus dramatique que dans les années 1930. Le chaos financier est plus grand et l'ampleur des pertes des banques sur les marchés financiers est certainement aussi importante que dans les années 1930.
Mais la coordination entre les pays n'est-elle pas meilleure?
Nous avons certainement plus de réunions internationales, même s'ils en avaient aussi à cette époque. Mais devant cette crise, les institutions internationales sont très faibles. Dans les années 1930, la Bank for International Settlements (BIS) avait de bonnes idées, mais elle ne pouvait pas les mettre en pratique. Aujourd'hui, le Fonds monétaire international (FMI) donne de très bons conseils, mais il n'a pas les moyens de les mettre en pratique.
Nous voyons aussi se creuser le désaccord entre l'Europe et l'Amérique. Les Européens ne veulent pas dépenser plus. L'Europe n'est pas en mesure d'investir massivement. C'est un vrai problème. On parle de coopération, mais on ne la voit pas vraiment.
Avec le protectionnisme, va-t-on industrialiser de nouveau l'Amérique?
Je pense que la croissance extraordinaire des services financiers que nous avons connue depuis 20 ans est terminée. Les services financiers vont représenter une part moins importante de l'économie de demain. Les gens feront autre chose. On ne ramènera évidemment pas l'industrie textile aux États-Unis. Mais il y aura des mouvements dans ce sens. On le voit déjà dans la fabrication d'automobiles. En Europe, les pays ne lâcheront pas leur industrie automobile.
La présence des pays émergents n'est-elle pas favorable à la mondialisation?
Depuis 20 ans, ces pays ont connu une croissance accélérée. Mais certains de ces marchés sont vulnérables. Je pense qu'à l'avenir, la Chine sera moins dépendante de ses exportations. Elle devra compter beaucoup plus sur son marché intérieur. Ce ne sera pas la fin de son industrialisation. Mais elle sera différente, et peut-être plus lente.
La croissance risque aussi d'être plus lente aux États-Unis et en Europe. Le recul de la mondialisation pourrait aussi ralentir la croissance technologique.
Si je comprends bien, vous n'êtes pas un adversaire de la mondialisation.
Pas du tout. Je crois que le cycle qui s'achève a créé beaucoup de bienfaits. Plusieurs de ceux qui critiquaient la mondialisation seront bientôt nostalgiques. On a cru qu'elle était inévitable. Les gens pensent toujours que ce qui se produit aujourd'hui se produira toujours. Dans les années 1950, on croyait que la guerre froide durerait des siècles. Pourtant, les esprits changent vite.
Croyez-vous à la constitution de blocs régionaux?
Je crois que nous allons dans cette direction. Les blocs régionaux seront certainement beaucoup plus forts. Mais le pouvoir appartient encore aux États nationaux. Le monde sera moins stable parce que les gens vont se méfier les uns des autres. La mondialisation est un pendule. Il vient juste de changer de direction.
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Correspondant du Devoir à Paris


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