Une fois de plus, le récent sondage paru dans L’actualité et les débats qui ont suivi, ont démontré que notre conception simpliste de la notion de «minorité» fausse l’évaluation et la compréhension de la question linguistique au Québec.
Au siècle dernier, les sociologues qui se sont penchés sur les questions coloniales, avaient pourtant développé des critères propres à distinguer, dans le cadre des sociétés coloniales, les statuts minoritaires ou majoritaires parmi les différents groupes d’une population donnée.
Au Québec, cette distinction sociologique est à ce point éclairante qu’elle permet de se demander si les anglophones – environ 8% de la population – y constitue réellement une «minorité» linguistique. Sur le plan sociologique, qu’en est-il exactement ?
Bien qu’il soit constamment question, au Canada, de minorités et de majorités linguistiques, jamais la loi ou la jurisprudence n’en ont défini le sens, ignorant que ces notions pouvaient avoir des significations qui touchent de beaucoup plus près à la complexité des réalités sociales.
La seule acception que les tribunaux ont retenue jusqu’ici du mot minorité est celle de sa qualification formelle et «numérique». Cette acception est essentiellement statistique et objectivement vérifiable. Par exemple, déterminer qui est majoritaire ou minoritaire, suite à une élection, relève de l’évidence. Il s’agit de savoir compter.
Par contre, déterminer quels sont les groupes «sociologiquement» majoritaires ou minoritaires dans une population donnée constitue une opération beaucoup plus complexe.
À cette fin, les sociologues qui ont étudié et cherché à comprendre la dynamique propre aux sociétés coloniales ont établi des critères permettant de mieux distinguer entre minorités «numériques» et «sociologiques».
Ainsi, un groupe humain est jugé minoritaire au plan sociologique s’il est l’objet de distinctions, s’il subit des contraintes quelconques, s’il se trouve en état de vulnérabilité ou de fragilité par rapport à un groupe plus avantagé, ou encore s’il est marginalisé, déprécié, ou vit dans un état chronique de subordination injustifiée.
À l’époque coloniale, par exemple, où des groupes d’Européens dominaient socialement, politiquement, économiquement et militairement des peuples entiers; il était alors facile de tirer un trait entre minorité «numérique» et «sociologique».
En Afrique comme en Asie coloniales, même si les populations autochtones représentaient parfois jusqu’à 99% de la population, ils n’en demeuraient pas moins, sociologiquement parlant, des minorités.
Un autre exemple est celui du sort des femmes dans le monde. Bien qu’elles constituent partout près de 52% de la population, elles n’en demeurent pas moins des «minorités» dans nombre de pays puisque leur conduite leur est dictée, à tous égards, par la puissance des hommes.
On comprend donc qu’identifier des minorités par le seul critère du nombre peut s’avérer franchement inadéquat et donner lieu à des situations aussi illogiques que préjudiciables.
Le premier ministre John A. McDonald, à l’époque de la Confédération, aimait raconter, à la blague semble-t-il, qu’étant donné la situation nettement minoritaire des riches au pays, il faudrait peut-être songer à légiférer en leur faveur afin de mieux garantir leur prospérité.
Par contre, la Cour suprême du Canada, elle, ne verse jamais dans l’humour lorsqu’elle rend coup sur coup des décisions favorisant le statut linguistique de la «majorité anglophone» du Québec au préjudice de la sécurité linguistique de la «minorité francophone».
Et voilà que le noble principe de l’égalité «en droit» doit toujours prévaloir lorsqu’il s’agit de porter secours au bien-portant afin d’assurer la protection de son vieil héritage colonial, malheureusement toujours fringant, dynamique et bien enraciné au Québec.
Dans l’ensemble du Canada, force nous est de constater, lorsqu’il est fait abstraction du critère numérique, qu’il n’existe aucune «minorité linguistique» chez les anglophones, et ce, même au Québec où ils forment numériquement environ 8% de la population.
Sociologiquement parlant, les anglophones sont donc majoritaires partout au Canada.
Le critère essentiel à considérer n’est pas le nombre de locuteurs ou de personnes ayant l’anglais comme langue maternelle ou langue première, mais bien la suprématie et l’hégémonie de la langue anglaise partout au Canada et en Amérique du Nord.
Un constat s’impose : nulle part l’usage de cette langue n’est en état d’infériorité, de vulnérabilité, de précarité, ou l’objet de pratiques discriminatoires.
Qui plus est, même la Loi 101, renchérissant sur la notion nébuleuse, confuse et coloniale des «droits historiques», lui a octroyé des «droits» qu’aucune loi ne lui avait reconnu jusqu’alors.
Quelle est donc cette étrange idée, colportée partout comme une vérité de La Palice, qu’il puisse y avoir des «droits historiques» tirant leur légalité ailleurs que dans des «lois historiques» ?
Lord Camden, dans un jugement retentissant portant sur les fondements légaux des mandats d’arrestation en Angleterre, avait écrit, le plus simplement du monde : «Si c’est du droit, on doit le retrouver dans nos livres. S’il ne s’y trouve pas, c’est parce que ce n’est pas du droit».
Au Québec, les anglophones forment donc une «majorité» linguistique, baignée dans le grand tout canadien, mais surtout pas une «minorité» linguistique. Au quotidien, on n’a qu’à se demander lequel des deux groupes doit lutter, toujours à contre-courant, pour assurer la survie de sa langue, de sa culture et de son existence ?
Tandis que les anglophones n’ont qu’à se laisser porter par la force du courant majoritaire, puissant, sans autre souci ni inquiétude, si ce n’est pour s’offusquer de la résistance de certains francophones.
Nulle part ils ne sont menacés de vivre dans un état d’apoptose linguistique et culturelle. Jouissant d’un véritable confort linguistique, ils bénéficient de l’énorme pouvoir d’attraction que possède leur langue à Montréal, au Québec, au Canada, en Amérique du Nord en général, et ailleurs dans le monde.
Au Québec, présentement, en plus de bénéficier de la bilinguisation de l’administration publique menée résolument par le gouvernement Charest, la «majorité anglophone» jouit de la pleine garantie de ses écoles financées par l’État, de ses collèges financés par l’État, de ses universités financées par l’État, des ses hôpitaux financés par l’État, de ses centres de services sociaux financés par l’État.
Où trouve-t-on, ailleurs au monde, un groupe supposément minoritaire jouissant de tels privilèges ? À ces avantages, s’ajoutent des quotidiens et hebdomadaires, des stations de radio et un très grand nombre de chaînes de télévision. Le tout couronné par des lois et règlements adoptés en anglais, ainsi que le droit d’être jugé dans cette langue.
En fait, les anglophones du Québec jouissent aujourd’hui d’une telle panoplie de droits et de privilèges qu’ils sont convaincus que la Confédération a créé pour eux en 1867 une province bilingue, ce dont George-Étienne Cartier et ses proches ne voulaient rien entendre.
Malgré une mauvaise réputation, en partie méritée, George-Étienne Cartier n’est en aucune façon le père spirituel de la politique de bilinguisation de Jean Charest; et Yvon Deschamps n’a pas tiré du seul néant l’idée saugrenue et paradoxale d’un Québec «indépendant» dans un Canada fort. La parfaite autonomie des Canadiens français dans leur province avait pourtant été présentée comme l’essence même de la Confédération.
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L’auteur est avocat, membre du Barreau du Québec, diplômé en Histoire et en Psychopédagogie, auteur de plusieurs articles et essais sur l’histoire des institutions.
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RÉFÉRENCES :
1- André Akoum et Pierre Ansart, éd., Dictionnaire de la sociologie, Le Robert et Seuil, 1999.
2- Georges Balandier, Sociologie actuelle de l’Afrique noire, Paris, P.U.F., 1971.
3- The Case of Seizure of Papers, XIX, State Trials, à la page 1066.
La majorité anglophone du Québec
Chronique de Me Christian Néron
Me Christian Néron117 articles
Membre du Barreau du Québec, Constitutionnaliste et Historien du droit et des institutions.
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