La laïcité ne doit pas effacer le passé

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Pas de table rase au nom du combat contre l'islamisation

Le premier ministre François Legault a annoncé son intention de laisser le crucifix de l’Assemblée nationale là où il est présentement, c’est-à-dire au-dessus du siège du président. Avec l’arrivée de la Coalition Avenir Québec au pouvoir, le 1er octobre dernier, la place du crucifix est revenue nous hanter. Maurice Duplessis est remonté à la surface de nos eaux trop tranquilles.


J’ai beaucoup de respect pour l’histoire, mais j’essaie toujours de ne pas idéaliser le passé. Je me méfie de ceux qui transforment le passé en mythe, qui l’embellissent au point d’en faire un modèle absolu.


Je ne pense pas nécessairement que « c’était mieux avant ». Bien sûr, l’époque actuelle est loin d’être parfaite, mais je n’aurais pas la prétention de parler au nom des morts. Nos ancêtres auraient-il choisi de vivre à leur époque ?



À la nostalgie romantique succède la tentation de la table rase.



Les plus progressistes retiennent leur souffle : en finirons-nous enfin un jour avec la « Grande Noirceur » ? Ici, le passé n’est pas idéalisé, mais diabolisé. À la nostalgie romantique succède la tentation de la table rase. Le premier ne vaut pas mieux que le second. Ni idéalisation ni diabolisation du passé : telle est ma perspective.


Ni idéalisation ni diabolisation du passé


Dans un autre contexte, j’aurais été favorable au retrait du crucifix à l’Assemblée nationale. Dans son approche et son fonctionnement, l’État doit être laïque, mais la laïcité ne doit pas servir à effacer la mémoire. Le malaise des Québécois est palpable : les églises sont vides, mais la coupe est pleine. À l’heure où nos églises sont transformées en condos et en salles de spectacle, certains lancent un cri du cœur. Je les comprends parfaitement.


En Occident, nous vivons une époque où le multiculturalisme nous entraine dans le néorévisionnisme, dans le dénigrement constant de notre héritage. Nous parlons toujours de xénophobie, mais jamais « d’occidentophobie », laquelle est pourtant fort à la mode aujourd’hui. Nous apprenons aux jeunes à développer une vision négative du christianisme, alors que cette grande religion a forgé notre civilisation.


Nous parlons souvent d’islamophobie, mais jamais de christianophobie. Nous nous attaquons à toutes les injustices dans le monde, sauf à celles qui touchent les chrétiens d’Orient, victimes par milliers des pires atrocités en Égypte, en Irak et en Syrie.


Nous vivons une époque où certains veulent déboulonner les statues des grands personnages de l’histoire chrétienne en Amérique, à commencer par celle de Christophe Colomb, à New York. En octobre 2017, le maire démocrate de la Grosse pomme, Bill de Blasio, a envisagé de faire retirer la statue du découvreur de l’Amérique, au centre duColumbus Circle. Le projet n’a pas abouti, mais le message a été entendu : nous sommes des méchants. Allons vite nous repentir dans les monastères de la Déesse Diversité.


Une société christianophobe?


Catholiques ou protestants, les chrétiens sont systématiquement dépeints comme les grands bourreaux de l’histoire, dans un esprit totalement anachronique. Nous vivons une époque où la critique de l’Église est bien vue, encouragée et valorisée, alors que celle de l’islam est moralement proscrite, découragée et même censurée.


Récemment, la célèbre chanteuse irlandaise Sinead O’Connor s’est convertie à l’islam, un geste qui a été salué par plusieurs sur les réseaux sociaux. Qu’aurait été la réaction du public si elle avait annoncé son retour dans l’Église catholique ? En 1992, la chanteuse déchirait d’ailleurs, à la télévision, une image du Pape Jean Paul II. Quelle originalité…


Comme je l’ai dit plus haut, dans un autre contexte, j’aurais été favorable au retrait du crucifix à l’Assemblée nationale. Mais certainement pas dans le contexte actuel. Je comprends la position des puristes laïques, mais je ne la partage pas pour autant.


Laïcité et mémoire nationale


Je refuse la diabolisation de la mémoire québécoise. Je refuse aussi celle de la mémoire occidentale. Si le but de mes amis laïques n’est pas d’effacer le passé, ils pourraient bien – malgré eux – y contribuer. L’identité québécoise est fragile, il faut faire attention aux dommages collatéraux.



La laïcité doit servir le peuple québécois.



La laïcité doit nous protéger contre l’intégrisme, ériger des remparts entre l’État et les groupes religieux, particulièrement entre celui-ci et ceux qui ont déclaré la guerre aux valeurs occidentales. Mais elle doit aussi servir le peuple québécois, et non empirer son Alzheimer historique. De toute façon, les catholiques représentent-ils une menace ?


Je me méfie enfin de cette course à l’éradication des symboles qui tend à juger le passé à l’aune des normes et critères actuels.


Il serait bon de rappeler que le drapeau du Québec affiche lui-même une croix blanche. Aux quatre coins du drapeau, le lis est un symbole de la monarchie française, ce qui n’a rien de très laïque. Le fleurdelisé renvoie à ces deux grandes figures de la tradition.


Finira-t-on par proposer son remplacement ?