Le secrétaire américain à la Justice a promis lundi de poursuivre l’enquête pour traquer d’éventuels complices des agressions sexuelles dont est accusé Jeffrey Epstein, après avoir reconnu de «graves irrégularités» dans la prison où a été retrouvé mort samedi le financier américain. « Je peux vous assurer que l’enquête va continuer, visant quiconque [ayant été] complice d’Epstein. Aucun complice ne dormira tranquille », a-t-il déclaré le secrétaire William Barr, lors d’une conférence.
« Nous irons au fond des choses […] il y aura des comptes à rendre », a assuré Bill Barr, alors que des agents du FBI ont, selon plusieurs médias, effectué lundi un raid sur une petite île américaine des Caraïbes appartenant au financier Jeffrey Epstein. Deux responsables anonymes des forces de l’ordre, cités par la chaîne NBC, ont confirmé que la police fédérale américaine avait lancé une perquisition dans la résidence de M. Epstein sur l’île de Little St. James, dans les îles Vierges, que le riche homme d’affaires aurait acquise dans les années 1990. Certains médias américains l’ont surnommée « l’île de la pédophilie », en raison des jeunes filles mineures que M. Epstein y aurait fait venir. Le tabloïd britannique Daily Mail avait publié un peu plus tôt des informations similaires sur ce raid, avec des photos et des vidéos semblant montrer des agents en uniforme du FBI déployés sur l’île. Contacté, le FBI n’a pas immédiatement confirmé ces informations.
M. Barr, qui avait annoncé samedi l’ouverture de deux enquêtes après l’annonce de la mort d’Epstein, apparemment par suicide, s’est dit « consterné » et « franchement en colère » en apprenant les carences « pour sécuriser de manière adéquate » la prison de Manhattan, où était détenu Jeffrey Epstein depuis le début du mois de juillet. Plusieurs médias avaient indiqué dimanche que le financier, qui fut longtemps une figure de la jet-set avant de devenir l’un des détenus les plus en vue du pays, avait été laissé seul dans sa cellule alors que les gardiens étaient censés être toujours deux, et que les rondes prévues toutes les 30 minutes n’avaient pas été respectées. Jeffrey Epstein, 66 ans, qui avait été retrouvé légèrement blessé le 23 juillet après ce qui semblait être une première tentative de suicide, ne bénéficiait par ailleurs plus de surveillance renforcée antisuicide depuis le 29 juillet. Cette décision a contribué à alimenter l’indignation qui a accueilli l’annonce de son décès.
La fin de semaine a vu une floraison de théories du complot, relayées par Donald Trump. Beaucoup de ces théories laissaient entendre que M. Epstein aurait été assassiné en raison des hommes de pouvoir — du prince Andrew à Bill Clinton, en passant par l’ex-émissaire spécial pour l’Irlande du Nord, George Mitchell, ou le patron de Victoria’s Secret, Leslie Wexner — qu’il avait fréquentés, et qui auraient voulu l’empêcher de parler. Personne n’a laissé entendre que l’actuel président américain ou l’ex-président Bill Clinton aient profité de jeunes filles recrutées pour Jeffrey Epstein, mais leurs noms ont été cités pour avoir voyagé à bord de ses avions privés, et Epstein a par ailleurs fréquenté le club de Floride de Donald Trump à Mar-a-Lago, en Floride.
Les causes du décès à confirmer
Les causes de la mort n’ont pas encore été officiellement confirmées. Le médecin légiste de Manhattan a indiqué dimanche, après avoir effectué l’autopsie, réserver ses conclusions dans l’attente de « plus d’informations ». Jeffrey Epstein, 66 ans, a été retrouvé mort vers 6 h 30 samedi matin au Metropolitan Correctional Center, prison réputée particulièrement sûre, où il attendait son procès qui devait commencer au plus tôt en juin 2020. Il avait été arrêté le 6 juillet et inculpé à New York pour avoir organisé, de 2002 à 2005 au moins, un réseau constitué de dizaines de jeunes filles, certaines élèves de secondaire, avec lesquelles il avait des rapports sexuels dans ses nombreuses propriétés, notamment à Manhattan et en Floride. Les témoignages qui sont ressortis dans des documents judiciaires brossaient de ce brillant et riche homme d’affaires, ex-professeur de mathématiques, l’image d’un insatiable prédateur de mineures.
Fille du défunt magnat britannique des médias Robert Maxwell, Ghislaine Maxwell, 57 ans, qui fut très proche de Jeffrey Epstein, fait désormais figure de suspecte numéro 1, même si elle a démenti toute implication. Elle est accusée par certaines victimes présumées du financier d’avoir activement recruté de jeunes adolescentes afin de satisfaire l’appétit d’Epstein et d’avoir même participé aux agressions. D’autres sont sur la sellette, dont le Français Jean-Luc Brunel, patron d’une agence de mannequins. Dans des documents judiciaires rendus publics vendredi, une victime présumée de Jeffrey Epstein, Virginia Giuffre, affirmait que Ghislaine Maxwell l’avait forcée à avoir des relations sexuelles avec lui.
Deux ministres réclament une enquête en France
Deux ministres français ont réclamé lundi l’ouverture d’une enquête en France concernant l’affaire Jeffrey Epstein. « L’enquête américaine a mis en lumière des liens avec la France. Il nous semble ainsi fondamental, pour les victimes, qu’une enquête soit ouverte en France afin que toute la lumière soit faite », ont écrit dans un communiqué les secrétaires d’État Marlène Schiappa (Égalité femmes-hommes) et Adrien Taquet (Protection de l’enfance). « La mort de M. Epstein ne doit pas priver les victimes de la justice à laquelle elles ont droit : c’est une condition essentielle à leur reconstruction, c’est aussi une condition à une protection plus efficace, à l’avenir, d’autres jeunes filles face à ce type de réseaux organisés, face à ce type de prédateurs », ont-ils ajouté. Selon l’entourage de Mme Schiappa, il s’agit d’« éclaircir » les liens que l’homme d’affaires avait avec Paris.
M. Epstein, propriétaire d’un immeuble dans un quartier huppé de la capitale française, a effectué de nombreux allers-retours entre la France et les États-Unis. La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a quant à elle rappelé lundi qu’il n’appartenait pas au gouvernement de décider des « poursuites » à entamer, après que les deux secrétaires d’État ont réclamé l’ouverture d’une enquête en France. « Les poursuites ne sont pas des décisions du gouvernement. Depuis 2013, les instructions individuelles sont prohibées, conformément au principe d’indépendance de l’autorité judiciaire », a-t-elle souligné dans un message transmis à l’AFP.
L’association Innocence en danger explique pour sa part avoir adressé le 23 juillet un signalement au procureur de la République de Paris, dans une lettre envoyée lundi à ce procureur et reproduite sur le site Internet du magazine L’Obs. Elle souligne que « la France est concernée par ce dossier puisque des investigations menées par le FBI font apparaître plusieurs personnes de nationalité française ». Innocence en danger cite une « source fiable » selon laquelle « plusieurs victimes » du réseau de prostitution « créé par Jeffrey Epstein et ses complices sont également de nationalité française ». Cette lettre au parquet s’appuie « sur les informations publiques, des documents déclassifiés aux États-Unis depuis vendredi où apparaissent des noms français, mexicains, saoudiens, etc. », a souligné Homayra Sellier, la présidente de l’association, interrogée par l’AFP. « Pour le moment, nous n’avons pas eu de réponse du parquet », a-t-elle ajouté.