Pris entre une crise politique majeure au pays et la possibilité que les conservateurs perdent le pouvoir aux mains d'une coalition libérale-néodémocrate appuyée par le Bloc, les citoyens assistent à une véritable guerre de spins visant à les convaincre qu'il se passe quelque chose de pourri à Ottawa. Et, surtout, que la pourriture viendrait d'un PLC et d'un NPD assoiffés de pouvoir au point de s'associer à des méchants "séparatistes". Et ça tartine épais dans le département du spin...
Spin no 1: Le PLC, le NPD et le Bloc ont fomenté un "coup d'État". On vous parle donc d'usurpation de pouvoir, de putsch, de folie, de geste illégitime et antidémocratique, de détournement du vote des Canadiens, etc. Les électeurs ont beau ne pas être des constitutionnalistes, il y a tout de même des limites à les prendre pour des valises.
Réalité: Au-delà des arguties juridiques et sans présumer du dénouement final de ce psychodrame, si la Gouverneure générale devait demander à la coalition PLC-NPD de former un gouvernement sans passer par une élection, ce serait que les conservateurs auraient perdu la confiance de la majorité des députés. Et donc, qu'ils ne pourraient plus gouverner. La GG jugerait sûrement aussi qu'une élection ne devrait pas être tenue à moins de deux mois de la dernière. Elle aurait aussi reçu des assurances quant à la stabilité de cette coalition, soit la garantie de la confiance d'une majorité de députés. Contrairement au spin du "coup d'État", il faut comprendre que dans notre système parlementaire, les citoyens ne votent pas pour un gouvernement ou un premier ministre. Ils votent pour un candidat membre d'un parti. Le parti ayant remporté le plus de sièges forme le gouvernement, et son chef devient premier ministre. Dans le cas d'une coalition, le principe demeure le même: la confiance de la Chambre est indispensable. Ce n'est pas très sexy, mais c'est comme ça que notre système fonctionne.
Spin no 2: L'entente Dion-Layton-Duceppe est strictement partisane et vise à prendre le pouvoir pour le pouvoir.
Réalité: la partisannerie est au cœur même de notre système, mais la situation actuelle la transcende. Si crise il y a, c'est qu'avec son énoncé économique, Harper, même minoritaire, s'est comporté comme un idéologue ultraconservateur prêt à étrangler financièrement les partis d'opposition; à retirer certains droits aux femmes et aux syndicats; à refuser d'intervenir face à la crise économique. Si Harper s'était montré moins idéologue et plus respectueux de la démocratie, cette coalition tout à fait étonnante n'aurait jamais vu le jour!
Spin no 3: Cette coalition est une alliance purement opportuniste des libéraux avec les "socialistes" du NPD et les "séparatistes" du Bloc.
Réalité: Harper accuse Duceppe de vendre son âme aux libéraux et Dion, de vendre celle du Canada au Bloc! Mais si Harper se sert de l'"épouvantail séparatiste" dans son approche habituelle du "diviser pour régner", c'est pour mieux mousser sa campagne tous azimuts visant à mobiliser l'opinion canadienne-anglaise contre l'idée d'une coalition AVANT que la GG ne se prononce. Par contre, le NPD, c'est une autre histoire et c'est plus sérieux. Mon hypothèse est que les milieux d'affaires, ceux du Québec, de Bay Street et de Calgary, sont incommodés par le Bloc. Mais nonobstant les déclarations de Pauline Marois sur l'avancée que ce nouveau rôle du Bloc ferait faire à la souveraineté, les gens d'affaires savent bien qu'il n'y a pas de "menace séparatiste", comme ils disent, à l'horizon. Surtout, qu'aucun ministre bloquiste ne siègerait dans ce gouvernement de coalition.
Ce qui les dérange surtout, c'est la perspective d'avoir 6 ministres sur 24 venant du NPD! Pour la première fois à Ottawa, le NPD exercerait une partie du pouvoir, siègerait au Conseil des ministres et donc, influencerait ses politiques. Avec un Stéphane Dion plutôt progressiste et un Gilles Duceppe de centre-gauche, une telle combinaison serait proprement imbuvable pour les milieux d'affaires. Surtout au moment où ils ont Harper, un PM rigoureusement favorable à la réduction du rôle de l'État. D'où ces appels pour que Harper demande à la GG de "proroger" le parlement. Bref, de le fermer jusqu'en janvier. Question de gagner du temps, de discréditer l'idée d'une coalition et de préparer un nouveau budget. Bref, TOUT sauf une coalition libérale-néodémocrate! C'est que dans ces milieux, on se souvient encore avec douleur de 1972-74. Pierre Trudeau, minoritaire, avait gouverné avec l'appui du NPD de David Lewis. Ce qui avait produit le gouvernement le plus progressiste de l'histoire moderne du Canada. Et ce, sans même que le NPD n'y siège! Alors, imaginez la hantise de voir six ministres néo-démocrates!
Spin no 4: Une telle coalition serait incapable de gouverner de manière cohérente.
Hypothèse: dans le contexte difficile actuel, une gouvernance collégiale serait sûrement plus pragmatique et aurait de meilleures chances de produire des solutions originales et productives pour le bien commun. Ce qui serait sain, non? Avec des taux de participation de plus en plus bas et un cynisme des électeurs nourri par des gouvernances frileuses et conservatrices, une coalition aiderait aussi à nous renforcer un peu le muscle citoyen. Voire à redonner le goût de s'occuper de la politique, plutôt que de laisser la politique s'occuper de nous. Je sais, je rêve peut-être les yeux ouverts... Et il se peut que Harper obtienne sa prorogation. Mais si une coalition était possible, après tout? Si Obama l'a compris, pourquoi pas nous?
Bon. De retour à la réalité. La suite est maintenant entre les mains de Stephen Harper et de Michaëlle Jean. Ce qui, vous en conviendrez, tient nettement moins du rêve...
*** Le 8 décembre, il arrivera ce qui arrivera à Ottawa. Mais ici, il y a une élection! Allons voter!
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