ATTENTAT D’OTTAWA ET LOI ANTITERRORISTE

La GRC a orchestré la diffusion de la vidéo

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La GRC, police politique

Ce n’est pas un hasard si la vidéo de Michael Zehaf-Bibeau a été rendue publique à la veille de l’étude du projet de loi antiterroriste des conservateurs. La Gendarmerie royale du Canada a beau être une entité indépendante du gouvernement, elle a soigneusement orchestré la diffusion de cet enregistrement afin de s’assurer, de son propre aveu, qu’elle n’éclipse pas les débats sur C-51.

Lorsque la GRC a décidé d’accepter l’invitation d’un comité parlementaire et d’y présenter la vidéo de l’auteur de l’attentat d’octobre dernier au parlement, l’opposition a rapidement soupçonné qu’elle le faisait de manière à promouvoir la rhétorique antiterroriste du gouvernement de Stephen Harper, qui venait de déposer son projet de loi C-51. Le commissaire Bob Paulson a même pris acte de cette impression. « Je sais pertinemment que le gouvernement présente de nouvelles dispositions législatives pour renforcer la lutte contre le terrorisme », avait-il consenti au Comité de la sécurité publique, en mars dernier. « La diffusion d’une telle vidéo pourrait apparaître comme une tentative d’influencer cette démarche. Je tiens à vous assurer que ce n’est pas mon intention », avait souligné M. Paulson aux députés.

L’Ottawa Citizen a mis la main sur un document de la GRC préparé en vue de la comparution de M. Paulson. Sa déclaration, récitée au début de la rencontre du comité de la sécurité publique, y est reproduite. De même qu’une « stratégie de communication ». La note — obtenue par le quotidien d’Ottawa en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et consultée par Le Devoir — explique que le commissaire se présentera au comité pour présenter la fameuse vidéo enregistrée le 22 octobre, quelques minutes avant que Zehaf-Bibeau tue le caporal Nathan Cirillo et entre armé au parlement.

« L’approche proposée ci-dessous garantira que l’attention portée à la vidéo soit très élevée au cours de la fin de semaine, mais que l’enjeu se calme en début de semaine pour que l’accent soit sur les audiences du projet de loi C-51 », stipule le document. Invité à comparaître dès la mi-février, M. Paulson a répondu le 3 mars pour témoigner le 6, soit le vendredi d’une semaine de relâche parlementaire — alors que le comité ne devait pas se réunir. Le même comité parlementaire a étudié le projet C-51 le mardi suivant.

La GRC avait en outre prévu des « questions-réponses » pour son patron, vraisemblablement pour le préparer aux interrogations des députés et des médias. La première : pourquoi avez-vous mis tant de temps à rendre publique la vidéo ? Réponse rédigée pour M. Paulson : « À ce moment-ci de l’enquête, il est désormais possible de rendre publique la majorité de la vidéo pour vous aujourd’hui. J’ai profité de l’invitation de ce comité pour présenter la vidéo au moment où cela était possible et dans l’intérêt supérieur du public. »

Au comité, le commissaire a justement affirmé qu’il « n’est pas dans les habitudes de la GRC » de discuter des preuves recueillies alors qu’une enquête est toujours en cours. « La GRC tient à son autonomie dans la conduite de ses activités et la défend scrupuleusement. » Mais le corps policier a choisi de « dévier légèrement de ce protocole dans ce cas-ci, par égard pour la demande de votre comité et pour le vif intérêt public que cette affaire suscite », avait-il plaidé en reprenant habilement les consignes de son bureau.

Un ordre d’en haut ?

Le critique du NPD en matière de sécurité publique voit dans ce document la preuve que le gouvernement s’est servi de la vidéo pour promouvoir sa loi antiterroriste. « Cela fait partie d’un pattern entourant C-51, où tout devient hyperpolitique plutôt qu’une question de politique publique », a déploré le député Randall Garrison au Citizen. Son chef Thomas Mulcair s’est fait plus prudent, s’abstenant de critiquer l’autorité policière et faisant valoir qu’il faut « toujours pouvoir garder la confiance en nos services de sécurité ». Dès le départ, a-t-il rappelé, le NPD s’est inquiété de voir la GRC se raviser, après avoir promis de montrer la vidéo rapidement à l’automne. « Après, effectivement, le “ timing ” a changé. On s’était toujours posé la question. Mais voilà, on commence à avoir des explications », a commenté le chef néodémocrate, en refusant d’en dire plus.

Le leader libéral s’est fait tout aussi circonspect. « Je vais continuer de faire confiance à la GRC et à nos agences de sécurité », a simplement affirmé Justin Trudeau.

Le gouvernement se défend

La GRC n’a pas répondu aux questions du Devoir mercredi, notamment à savoir si la date de comparution de M. Paulson lui avait été ordonnée ou suggérée par le gouvernement ou l’un de ses ministres.

Le ministre de la Sécurité publique a nié avoir dicté à la GRC de retarder la diffusion de la vidéo pour qu’elle survienne juste à temps pour aider au débat sur la loi antiterroriste. « Absolument pas, a répondu Steven Blaney aux Communes. Les enjeux en matière opérationnelle relèvent de la GRC et ils ont toute ma confiance. » Son collègue à la Justice, Peter MacKay, a lui aussi rétorqué qu’il n’avait « absolument pas » transmis de directives à la GRC.

Le dossier de la GRC indique en outre que la Police provinciale de l’Ontario poursuit son enquête sur les gestes de la Gendarmerie royale ce jour-là. Dès que son rapport sera terminé, que la GRC l’aura étudié et qu’elle aura répondu aux conclusions, « nous serons alors en mesure de déterminer s’il [le rapport d’enquête] sera rendu public », stipule la réponse préparée pour le commissaire Paulson.


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