Quadruple meurtre au sein de la famille Shafia

La double horreur des « crimes d'honneur »

Laïcité — débat québécois

Texte publié dans Le Devoir du vendredi 31 juillet 2009
Bien que les faits soient loin d'avoir été établis avec précision, rien n'empêchera les citoyens québécois de toutes origines de réagir au drame survenu au sein de la famille Shafia : quatre morts et trois accusés d’une même famille. Les points de vue énoncés jusqu’ici me semblent manifester une constante, soit l'expression de sentiments d'horreur devant ce qui nous menace, que nous ne comprenons pas et qui nous fait d'autant plus peur.
Dans le cas présent, l’horreur est double. Il y a d'abord celle que suscitent les crimes survenant au sein d’une famille, tout particulièrement lorsqu'ils impliquent des enfants. Puis il y a celle provoquée par le spectre d'une autre catégorie d'entités perçues comme terrifiantes lorsqu'elles se manifestent au sein de notre propre société: les cultures considérées comme exotiques ou arriérées.
À mon point de vue, le premier sentiment d'horreur est probablement incontrôlable et inévitable, dans la mesure où nous ne pourrons jamais comprendre réellement comment des gens peuvent en venir à tuer les êtres qui leur étaient le plus cher. Par contre, le deuxième type d'horreur, qui risque d'occuper presque toute la place dans ce cas-ci, me semble fondé sur une illusion et sur de fausses croyances qu'il nous serait possible de rectifier, après les avoir mieux identifiées.
Malgré de nombreuses différences, le drame de la famille Shafia rappelle un peu celui survenu le 1er janvier dernier à Saguenay, dans une famille québécoise francophone typique qui fut le théâtre d'un triple meurtre d'enfants, suivi du suicide du père et de la mise en accusation de la mère survivante.
Selon nos perceptions, ce drame québécois ne serait aucunement comparable à celui survenu dans la famille de culture afghane, sous prétexte que le premier relève de phénomènes psychologiques et le second de phénomènes culturels. C'est justement là que résident l'illusion et le jeu des croyances inscrites dans notre propre culture : l’illusion que nous serions des individus libérés des contraintes culturelles. En réalité, tous les humains sont munis d'un cerveau, siège de phénomènes psychologiques qui peuvent aussi être pathologiques, et tous sont inscrits dans un contexte social qui détermine aussi fortement leur existence heureuse ou malheureuse. L'erreur est de prétendre expliquer les uns par leur psychologie et les autres par leur culture.
Dans le cas de la famille québécoise, les facteurs sociaux et culturels n’étaient pas moins déterminants que dans celui de la famille immigrée. Les deux parents étaient profondément déprimés par la perte de leur emploi et le spectre de leur deuxième faillite. Ce qu’ils percevaient comme un sentiment d’échec personnel était aussi étroitement lié aux perceptions de l’entourage social et impliquait un certain sentiment de déshonneur –le sentiment social par excellence–, qui n’était pas totalement étranger au sentiment éprouvé par certains membres de la famille afghane. En d’autres termes, les valeurs de la société québécoise (exigences de réussite sociale et de bien-être matériel, autonomie, responsabilité parentale, etc.) n’étaient pas moins déterminantes dans le déclenchement des réactions psychologiques à la situation vécue, même si elles pouvaient être perçues comme résultant de choix individuels. De la même façon, il serait absurde de croire que les membres de la famille Shafia aient été le pur jouet de leur culture sans qu’interviennent chez eux de processus psychologiques.
La grande différence réside dans le siège profond de l’identité, tel que construit culturellement. Pour les Afghans, c’est la famille, et c’est la déroute de cette entité qui conditionne la réaction psychologique des membres adultes. Pour les Québécois, au contraire, c’est l’individualité des parents, et c’est pourquoi leur suicide leur apparaît comme la seule issue. Mais il semble bien que leur projet de suicide leur apparaît indissociable de la mort de leurs enfants, comme si leur famille était en fait une unité sociale aussi fondamentale que leur propre identité personnelle, à l’instar de la famille afghane.
Pour affirmer nos différences, nous prétendons aussi que notre société condamne de tels crimes tandis que d’autres cultures les autoriseraient. Il y a là une certaine confusion, entretenue dans plusieurs définitions du crime d’honneur, qui le présentent comme une « pratique culturelle » permettant aux hommes d’exercer leur violence sur les femmes quand leur honneur est en jeu. Il est vrai que le pouvoir des hommes peut être affirmé comme un droit et exercé de toutes sortes de façons, et il arrive trop souvent que cela conduise au meurtre mais le meurtre n’en demeure pas moins un crime et un drame pour les communautés concernées. Maintenant, lorsque cela se produit, quelles réactions communautaires sont possibles, en particulier dans des contextes où il n’y a pas de système judiciaire organisé? Le fait que l’on s’abstienne d’appliquer un châtiment violent aux auteurs du crime n’implique nullement que leur comportement soit approuvé socialement ou culturellement.
Les normes culturelles ou légales énoncées dans une culture sont couramment violées, sans s’en trouver ébranlées en tant que normes. Ainsi, nos normes culturelles condamnent unanimement la violence familiale, qui s’exerce principalement sur les femmes, mais cela n’empêche pas qu’environ 13,500 d’entre elles en sont victimes chaque année. De tels faits, perçus de l’étranger, permettraient-il de conclure à l’existence d’une « pratique culturelle » québécoise? À l’inverse, nous affirmons couramment que les immigrants devraient se conformer à nos lois et à nos coutumes, alors que nous semblons avoir bien du mal à nous y conformer nous-mêmes, y compris lorsqu’elles concernent nos valeurs les plus sacrées d’égalité entre hommes et femmes.
Dans le traitement des questions qui touchent notre identité et nos différences culturelles, nous semblons avoir toujours tendance à assumer que les autres seraient différents de nous d’une façon absolue, bien au-delà des réelles différences culturelles, et cela nous conduit à oublier que l’existence des cultures n’abolit pas la réalité d’une commune nature humaine, qui se manifeste aussi dans les plus horribles drames humains.
Denis Blondin

Anthropologue

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7 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    1 août 2009

    «Si aveugles que vous soyez, j`ai découvert dans votre regard une volonté d`aveuglement plus grande encore.»
    Nietzsche
    The Economist publie une lettre qui dit la vérité
    Les crimes d'honneur
    Monsieur - Le titre de votre article sur les crimes d'honneur en Syrie pose la question : «La loi change. Les attitudes vont-elles aussi changer ? » (18 juillet). La réponse c'est qu'il est plus facile de changer les lois que le cœur des gens. S’il y a encore des crimes d’honneur dans le monde musulman, ce n’est pas à cause du manque de volonté des législateurs d’adopter des lois punissant ces crimes. La raison principale pour laquelle ces crimes persistent est que non seulement les imams, les muftis et les ayatollahs n'ont jamais condamné ces crimes mais qu'en fait, ils les approuvent.
    Par exemple, le «Umdat al-Salik», un manuel sur la charia, affirme que « les représailles sont obligatoires » contre toute personne qui commet un meurtre, sauf lorsqu’«un père ou une mère (ou leurs pères ou mères) » tuent « leurs enfants ou les enfants de leurs enfants ». Par conséquent, celui qui tue son enfant pour des raisons «d'honneur» n'encourt aucune peine en vertu de la loi islamique.
    Une situation similaire prévaut en matière d'excision. Si cette pratique est encore très répandue en Égypte malgré qu’elle soit interdite, c’est parce que les religieux musulmans considèrent qu’elle est conforme à la tradition islamique dominante.
    Il ne suffira pas, comme le demandent les défenseurs des droits humains, qu’il y ait un « changement plus fondamental dans l'attitude de ceux qui rédigent les lois et les mettent en application ». Il faut aussi qu'il y ait une discussion ouverte sur les racines islamiques de pratiques comme les crimes d'honneur et qu’on demande à ceux qui font autorité en matière de charia de renoncer à justifier les crimes d'honneur et d’enseigner les raisons pour lesquelles ces crimes sont injustes dans le cadre d'une interprétation réformée des textes islamiques. Sinon, les attitudes ne changeront pas et la pratique des crimes d'honneur se poursuivra dans le monde musulman et au sein des communautés musulmanes en Occident.
    Aymenn Jawad
    Cardiff

  • Archives de Vigile Répondre

    31 juillet 2009

    Vive le relativisme culturel et la rectitude politique - cet article de Mr Blondin en est un cas type.
    Désolé de vous décevoir - le crime d`Honneur a comme ressort le statut de la femme dans la religion musulmane - elle ne vaut que la moitié d`un homme et est totalement controlée par les males de la familles et de la communautée - en Afghanistan comme en Égypte et la meme chose se produit en Occident aussitot qu`ils sont en mesure de se regrouper en communautée fermée - ce fait se voit en Europe particulierement en France - Grande-Bretagne - Hollande et Belgique. Le Coran dit bien que la femme adultere doit etre enfermée jusqu`a ce que la mort la visite. Les musulmans disent que le Coran est un livre incréé - des commandements directs de Allah inchangeables.
    Par contre tout cela n`est que - un des aspects de cette religion - elle exige aussi de dominer sur le chrétien, le juif et le paien - elle demande d`etre dur avec eux et de ne pas les prendre pour amis. Ca on le verra plus tard quand les mosquées appeleront a la conversion du haut des minarets comme on le voit au Moyen-Orient.
    A l`époque ou les pays Occidentaux avaient des élites intelligentes et sensées voici ce qui s`écrivait - Un extrait de Agneau Noir et Faucon Gris de Rebecca West datant de 1940.
    « Sans nous, les Slaves, Vienne serait une ville musulmane. N`est-ce donc rien pour vous de savoir que l`Europe a réussi a échapper au joug de l`Islam?
    Il veut dire que les Turcs ont assiégé Vienne en 1683 et qu`ils ont été repoussé. En histoire la durée est une chose relative; c`eut été un coup fatal pout toute notre culture européenne, et ce sont la des choses que nous ne devons jamais oublier.»
    Étrange, ces gens savaient que l`islam était incompatible avec la culture occidentale mais les gouvernements actuels ouvrent la porte de la bergerie aux loups.

  • Michel Guay Répondre

    30 juillet 2009

    Les Musulmans comme les Juifs d'ailleurs sont sous la loi du Talion qui est entièrement incompatible avec nos lois .
    En plus le Coran est rempli d'appels au meurtres et au mutilations physiques contre les incroyants, les femmes qui désobéissent , les infidèles , les voleurs etc.....
    L'islamisme comme le judaisme et le protestantisme sont des mouvements sectaires ou chacun invente ses lois, il y a 4000 de ces sectes nouvelles et anciennes, quasi tous en provenance des USA, au Québec dont la plupart ont sentis le vide d'après 1960 et ce sont installés pour nous imposer leurs lois abominables de Lamech et du Talion ou du plus fort ( violent)

  • Archives de Vigile Répondre

    29 juillet 2009

    Si ces gens-là sont venus ici, c'est en grande partie (comme la majorité des immigrants, dont je suis) pour avoir des libertés qu'ils n'avaient pas chez eux.
    Mais là, étrangement, ils semblent faire le contraire : nous imposer leurs baillons importés de chez eux. La femme a été (du moins, quelque peu) libérée en Amérique du Nord, et on doit encore, bien longtemps après, endurer ce genre de crime brutal et sexiste. Nous n'imposons pas aux Afghans vivant en Afghanistan, aux musulmans vivant dans des pays musulmans et aux extrêmistes vivant dans des contrées extrêmistes d'agir de notre façon. Ça devrait être réciproque, ne trouvez-vous pas?
    Avant que mes propos soient interprétés de travers, je tiens à préciser que je parle au niveau de l'individu. Il y a des Afghans plus québécois que vous et moi, et il y a des Québécois qui se feraient lapider en Afghanistan (parfois même avec raison, aussi mal à l'aise que je sois de l'admettre). Le problème, ce n'est pas la culture afghane, c'est la manière de penser personnelle de certains qui croient que leur culture (que ce soit une culture religieuse, ethnique ou de famille) devrait primer, même quand ils ont le privilège d'être accueillis et acceptés par de parfaits étrangers.
    Je le dirai très poliment, mais je le dirai quand même : si vous voulez rester dans votre misère, autant rester chez vous. Nous vous offrons de meilleures conditions. Si vous n'en voulez pas, tant pis - mais les Québecois n'y renonceront pas simplement pour que vous vous sentiez chez vous. On ne se sera pas battu pour les droits de l'homme (et de la femme) pour rien!

  • Archives de Vigile Répondre

    29 juillet 2009

    Oh boy! On fait dans le relativisme culturel à un très haut niveau ici!
    Comme les deux autres dames, je ne partage vraiment pas votre point de vue mais un débat là-dessus serait un peu hors-sujet sur Vigile. Un seul mot: le massacre de Chicoutimi est un cas unique, du jamais vu au Québec.
    Chaque année, quelques parents (le père 3 fois sur 4) tuent leurs enfants et leur conjointe avant de se tuer. Mais un meurtre commun des enfants commis par les deux parents, c'était du jamais vu au Québec avant Chicoutimi. Un cas vraiment exceptionnel quoi.
    Ce n'est pas du tout la pression sociale qui les a amenés là mais simplement l'absence de porte de sortie comme c'est malheureusement le cas dans presque tous les suicides.

  • Archives de Vigile Répondre

    29 juillet 2009

    Ce n'est pas bête à dire, mais vous avez plutôt raison, madame Gélinas.
    Marie Mance Vallée

  • Archives de Vigile Répondre

    29 juillet 2009

    Désolée d'avoir à vous sortir une évidence grosse comme le bras de Shwartzaneiger.
    C'est pas la culture qui provoque l'horreur c'est la logique du système patriarcal poussée à son extrême limite.
    Dans leur pays, ce type de crime n'est pas puni. Et en tant que féministe, il n'y a pas que l'assimilation des immigrants à la langue anglaise qui inquiète. Il ly a aussi la composante très patriarcale des valeurs de plusieurs néo-québécois.
    Comment influenceront-ils à la longue les valeurs de notre société. ? Et la force du nombre peut-elle éventuellement mettre en péril des droits que les femmes ont acquis au cours des cinquante dernières années...
    C'est bête à dire