La dérive régionaliste

17. Actualité archives 2007




Le ministre des Finances du Québec, Michel Audet, comme le veut la tradition, a rendu public il y a quelques jours son document de consultation pré-budgétaire, intitulé "Des régions plus prospères".
Ce document est une véritable injure à l'intelligence, parce qu'il propose une vision du développement économique du Québec qui concentre toutes les énergies sur le succès des régions en faisant abstraction du rôle central des grandes villes. Une démarche qui va à contre-courant de toutes les théories du développement.
Mon indignation n'est pas une manifestation d'indifférence à l'égard des régions. Les régions en difficulté ont besoin de notre soutien. Celles qui vont mieux doivent être encouragées pour aller encore plus loin, car leur succès profitera à tous. Mais cela ne doit jamais nous faire oublier que sans le rôle moteur des grandes villes, le succès sera impossible et l'ensemble du Québec s'enfoncera.
Bien sûr, les élections ne sont pas loin. Et parce que les élections se gagnent largement dans les régions, on peut comprendre que le monde politique exprime ses préoccupations régionales avec plus de vigueur. La sensibilité régionale n'est de toutes façons pas une mauvaise chose. Mais elle ne doit pas se faire au détriment des villes, au détriment du bien commun et au détriment du sens commun.
On ne peut pas tendre la main aux régions en faisant semblant que les grandes villes n'existent pas. Pourquoi le ministre semble-t-il incapable de marcher et de mâcher de la gomme en même temps? Pourquoi, dans un véritable tour de force négationniste, réussit-il à ne consacrer que 3 pages sur Montréal et Québec dans un document de 44 pages, quand on sait que ces deux villes comptent pour à peu près 60% de l'économie québécoise?
Pour mieux saisir le côté surréaliste de la démarche du gouvernement Charest, il vaut la peine de comparer ce document ministériel à une étude du Conference Board, publiée hier, où l'organisme de recherche propose le troisième volet de sa réflexion sur le défi de la prospérité au Canada, intitulé "Successful Canadian cities".
"Le Québec devra, dans les prochaines années, continuer à soutenir le développement des régions pour que l'ensemble du Québec s'enrichisse et profite d'une prospérité accrue", nous dit le ministre.
"La prospérité du Canada dépend de la prospérité de nos principales villes, affirme de son côté le Conference Board. Les gouvernements à tous les niveaux doivent injecter des ressources dans les grandes villes, qui ont un potentiel unique et qui font face à des défis particuliers". Pour ajouter: "Le succès économique du Canada repose sur la performance de six cités-régions: Toronto,Vancouver, Montréal, Ottawa-Gatineau, Calgary et Edmonton".
Il y a quelque chose d'assez agaçant à voir un organisme canadien affirmer que le succès des grandes villes, dont Montréal, doit être une "priorité nationale", quand le gouvernement du Québec semble incapable de le faire pour sa seule métropole.
Non seulement M. Audet ne consacre que trois pages aux deux grandes villes du Québec, il réussit à ne rien y dire, se bornant à un espèce de catalogue où il énumère les atouts des deux villes et les investissements publics qui y ont été faits. Mais aucune vision, aucune stratégie, aucune affirmation de leur importance stratégique.
Ce refus repose en partie sur la transposition, au niveau du territoire, d'une philosophie qui consiste à vouloir redistribuer la richesse avant d'avoir réussi à la créer. Il repose également sur d'évidents biais anti-urbains, et plus particulièrement anti-montréalais. Par exemple, en minimisant le poids économique des deux villes, pour le situer à 45% plutôt qu'à 60%. Ou encore, en balayant leurs besoins: "Compte tenu de leur importance économique, Montréal et la capitale nationale profitent en bonne patrie des retombées des politiques et stratégies gouvernementales de développement économique." Bref, comme elles sont grosses, pas la peine de s'en occuper.
Il y a là une culture, que l'on retrouve dans la machine gouvernementale québécoise, qui n'intègre pas la dynamique urbaine, qui ne veut pas reconnaître son importance et qui voudrait plaquer aux grandes villes une logique de développement régional. Une culture régionaliste que le gouvernement Charest a hélas repris dans la plupart de ses documents économiques.
L'incapacité des gouvernements québécois successifs de miser sur Montréal est l'une des causes des retards économiques réels dont souffre le Québec. Cela n'a pas changé avec le gouvernement actuel. Et l'un des défis que le Québec aura à relever, c'est d'amener ses politiciens à avoir le courage de miser sans détours sur les grandes villes.


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