On ne plaisante pas avec la justice et Gabriel Nadeau-Dubois, l’ancien porte-parole de la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE), l’a appris à ses dépens alors qu’il est trouvé coupable d’avoir passé outre les injonctions et incité des personnes à faire du piquetage pour empêcher des étudiants d’aller en classe durant la grève. Reste à connaître la sentence. Prison jusqu’à un an, travaux communautaires ou amende allant jusqu’à 50 000 $ ? Les plaidoyers sur le sujet seront entendus le 9 novembre.
L’avocat de l’étudiant demandeur, Me Maxime Roy Martel, n’exclut pourtant rien dans les représentations qu’il fera. « Je me suis donné une période de réflexion pour pondérer tous les principes. On n’est plus dans la même situation qu’au moment de la comparution, parce que la grève n’est plus.
Est-ce que les besoins de dissuasion spécifiques à M. Nadeau-Dubois sont toujours aussi criants ? Je ne crois pas », a déclaré l’avocat qui représente Jean-François Morasse, un étudiant en arts plastiques à l’Université Laval. « On ne sait pas ce que M. Nadeau-Dubois pense de tout ça, il a choisi de ne pas parler durant le procès. Est-ce qu’il regrette ? Va-t-il vouloir se faire entendre ? Ce sont des éléments qu’on doit pondérer. »
Le dénommé « printemps érable » a une autre raison de passer à l’histoire : c’est la première fois dans le mouvement étudiant québécois qu’un leader est trouvé coupable d’outrage au tribunal. La condamnation a, à tout le moins, des « traits communs » avec la condamnation pour outrage des trois chefs syndicaux du Front commun au printemps 1972, il y a 40 ans, reconnaît Me Roy Martel.
Louis Laberge, Marcel Pepin et Yvon Charbonneau avaient toutefois été emprisonnés après avoir encouragé leurs membres à désobéir à une loi spéciale du gouvernement dans un appel plutôt explicite : « Nous n’avons pas l’intention de recommander à nos groupes de respecter les injonctions qui, à notre avis, sont illégales. »
Dans son jugement de 20 pages, l’honorable Denis Jacques a même fait référence à cet épisode de conflit syndical, notamment pour démontrer que même si on n’est pas directement visé par l’ordonnance, on peut être tenu coupable d’avoir porté atteinte à l’autorité de la Cour.
Sur le respect des ordonnances des tribunaux, le juge va jusqu’à citer John F. Kennedy, qui avait affirmé que la nation « repose sur le principe que l’observance de la loi est le rempart éternel de la liberté, et que le défi à la loi est le plus sûr chemin menant à la tyrannie ».
Anarchie et désobéissance
En essence, le juge Jacques a tenté de répondre aux diverses questions en litige en décryptant soigneusement le verbatim de l’entrevue que donnait le leader étudiant à RDI le 13 mai 2012 et dans lequel il tenait notamment ces propos : « On trouve ça tout à fait légitime là, que les gens prennent les moyens nécessaires pour faire respecter le vote de grève, et si ça prend des lignes de piquetage, on croit que c’est un moyen tout à fait légitime de le faire. »
M. Nadeau-Dubois était-il visé par l’ordonnance rendue en faveur de M. Morasse et en avait-il la connaissance avant de faire ces déclarations à RDI ? L’ex-porte-parole de la CLASSE incitait-il à contrevenir à cette ordonnance des tribunaux et l’a-t-il fait intentionnellement ? La réponse du juge a été « oui » à tout.
Selon lui, M. Nadeau-Dubois ne pouvait pas ne pas être au courant de l’ordonnance rendue par le juge Jean-François Émond, dont celle concernant M. Morasse, puisqu’elle avait été évoquée dans l’entrevue même qu’il donnait sur les ondes de RDI et qu’il aurait pu en avoir connaissance de différentes façons, notamment à travers les associations étudiantes membres de la CLASSE. Le juge Jacques est d’avis que l’étudiant, en incitant au non-respect des ordonnances, « prône plutôt l’anarchie et encourage la désobéissance civile ».
M. Nadeau-Dubois avait parfaitement le droit de ne pas être d’accord avec les injonctions, mais pas d’inciter à bloquer l’accès aux classes, a fait valoir le juge, qui semble avoir trouvé la défense faible. Enfin, il démontre que l’étudiant a choisi la « voie de l’affront » et a fait sciemment ses déclarations, puisque le président de la Fédération étudiante collégiale de l’époque, Léo Bureau-Blouin, venait tout juste d’appeler au respect des injonctions au cours de la même entrevue.
Satisfait, l’avocat du plaignant, Me Roy Martel espère que cette décision serve au débat. « Ce que nous dit le juge, c’est qu’on peut être en désaccord, mais de là à inciter au non-respect, il y a une ligne à ne pas franchir », a-t-il dit.
L’avocat se réjouit d’autant plus qu’à son avis, Denis Jacques a rendu une décision étoffée, qui « a emprunté le chemin juridique qu’on lui a proposé », note-t-il. « Le juge a reconnu la quasi-totalité de notre position et la conclusion est celle qu’on demandait. » Il se dit peu surpris, même s’il admet que, devant le capital de sympathie dont jouit M. Nadeau-Dubois, ce n’était pas gagné d’avance.
Onde de choc
Ce verdict de culpabilité a créé une petite onde de choc jeudi sur les réseaux sociaux. Devant de nombreux témoignages d’appui, les principales associations étudiantes ont gardé le silence, avançant qu’il revenait à la CLASSE, devenue ASSÉ, de se prononcer. Par voie de communiqué, celle-ci a réitéré son « appui indéfectible » à Gabriel Nadeau-Dubois et dénoncé la « judiciarisation inacceptable » du conflit étudiant. « Les mots qui ont valu sa condamnation à M. Nadeau-Dubois sont repris en choeur par l’ensemble du mouvement étudiant. L’histoire saura lui donner raison », a souligné le porte-parole, Jérémie Bédard-Wien.
Le député et porte-parole de Québec solidaire, Amir Khadir, a qualifié la condamnation du leader étudiant d’« insulte à la jeunesse ». « Gabriel Nadeau-Dubois a incarné cette jeunesse et est maintenant puni pour s’être mis au service d’une cause. On lui a fait un procès politique », a déclaré Amir Khadir.
Dans le camp des carrés verts, qui rassemble ceux qui sont contre la grève, on a salué la décision du juge et rappelé que nul ne peut faire fi des tribunaux. De nombreux partisans des carrés rouges ont quant à eux riposté en diffusant un article de La Presse datant de 2005, qui fait état des liens que le juge Jacques avait avec le Parti libéral. Sur Facebook, de nombreux événements ont été créés en appui à M. Nadeau-Dubois, invitant les gens à taper de la casserole et à manifester au départ de la place Émilie-Gamelin en soirée.
Quelque 200 protestataires - dont certains affublés d’un masque - se sont ainsi réunis en milieu de soirée à la place Émilie-Gamelin, point de ralliement des manifestations étudiantes du printemps dernier, avant de battre le pavé dans les rues du centre-ville de Montréal afin d’exprimer leur soutien à Gabriel Nadeau-Dubois et les personnes arrêtées durant le conflit étudiant.
Quant au principal intéressé, il réagira vendredi en point de presse devant les bureaux de son avocat à Montréal. La cause pourrait être portée en appel.
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