Depuis que Gabriel Nadeau-Dubois (GND) a été déclaré coupable d'outrage au tribunal, chacun a repris son carton là où il l'avait laissé.
Les cartons rouges dénoncent ce jugement «politique». Leurs opposants applaudissent en disant que, comme tout le monde, GND est soumis aux ordres des tribunaux.
Avec ce que j'ai écrit, on ne me soupçonnera pas de sympathie secrète pour la défunte CLASSE ou pour GND.
Il va de soi, aussi, que nous n'avons pas à choisir selon nos caprices dans le grand étalage judiciaire les ordonnances qui font notre affaire, pour ignorer les autres.
Sans le pouvoir de faire respecter leurs ordres, les jugements des tribunaux ne vaudraient pas grand-chose. Et sans l'ordre judiciaire pour arbitrer les conflits et limiter les pouvoirs de l'État, pas de démocratie, ça va de soi.
On doit obéir même à une ordonnance judiciaire mal fondée... tant qu'elle n'est pas annulée par la justice. Et ça tombe bien, le système nous offre au moins une possibilité de contestation en appel, devant d'autres juges.
À moins bien sûr d'accepter les conséquences judiciaires de la désobéissance, soit une amende ou la prison.
Mais justement, puisqu'on parle de prison, un certain nombre de précautions s'imposent avant d'y envoyer un désobéissant.
Dans le cas qui nous occupe, GND est accusé non pas d'avoir lui-même désobéi à une injonction, mais d'avoir incité les autres à le faire.
Inciter quelqu'un à commettre une infraction est une des formes de la complicité. Si on encourage quelqu'un à commettre un crime, on peut être déclaré coupable au même titre que si on l'avait commis.
Est-ce le cas ici?
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Un procès pour outrage au tribunal, même un outrage à une ordonnance civile, fonctionne selon les principes du droit criminel.
Ce que ça veut dire? Qu'il faut une preuve «hors de tout doute raisonnable» que GND a commis l'outrage... au moyen d'un encouragement.
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Si on se fie aux décisions des tribunaux qui parlent d'encouragement, il faut plus qu'une vague expression de souhait ou une opinion contestataire. Il faut une action délibérée visant à ce que l'acte soit commis. Il faut non seulement que l'accusé ait conseillé de commettre l'infraction, mais qu'en plus, il ait voulu qu'elle soit commise, ou savait qu'elle le serait du fait de ses encouragements.
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Le 2 mai, une injonction est obtenue par un étudiant en arts de l'Université Laval pour contraindre l'institution et l'association étudiante à prendre les mesures pour qu'on le laisse entrer en salle de cours.
Le 13 mai, à RDI, GND critique ce type d'injonction en général.
«Ces décisions-là, ces tentatives-là de forcer les retours en classe, ça ne fonctionne jamais», dit GND, vu la solidarité étudiante; il ajoute qu'il était «tout à fait légitime» pour les étudiants de «prendre les moyens pour faire respecter le choix démocratique qui a été fait d'aller en grève». Il trouve «regrettable» qu'une minorité «utilise les tribunaux pour contourner la décision collective». Et il répète que selon la CLASSE, il est légitime que les gens prennent les moyens nécessaires pour faire respecter le vote de grève et «si ça prend des lignes de piquetage, on croit que c'est un moyen tout à fait légitime de le faire».
On reconnaît ici la rhétorique du leader de l'aile radicale du mouvement étudiant. Aucune concession à la légitimité de l'action judiciaire. À côté de lui, Léo Bureau-Blouin dit clairement que la FECQ est pour le respect des injonctions.
Nadeau-Dubois est plus équivoque, comme il l'a été au sujet de la violence, au point d'en être suprêmement irritant.
On peut trouver ça irresponsable. Mais il n'existe aucune obligation juridique d'être un bon garçon comme Bureau-Blouin. Ni de donner des mots d'ordre de respect des ordonnances...
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N'oublions pas qu'il s'agit d'une poursuite dans le dossier d'un étudiant en art de Laval qui reproche à GND d'avoir encouragé les gens à violer cette ordonnance.
Je crois que GND voulait effectivement qu'elle soit défiée.
Mais si on applique le critère du droit criminel, et non celui de la morale ambiante, la preuve me paraît tout simplement insuffisante.
L'injonction obtenue par cet étudiant interdit d'obstruer l'entrée. Pas de piqueter. GND parle de piquetage. Il ne dit pas qu'il faut empêcher les gens d'entrer, et certainement pas dans le cas précis de ce département.
Il dit 1) que le recours aux tribunaux est un moyen déplorable, ce qui est une opinion parfaitement légitime qu'on peut encore, j'espère, exprimer publiquement.
Et 2) qu'il trouve «légitime» le recours au piquetage pour faire respecter le vote de grève. Il prend bien soin de ne donner aucune recommandation, ni aucun encouragement, ni de défier ouvertement l'ordonnance. Il exprime l'opinion de son groupe. Il se tient astucieusement sur la ligne mince qui sépare la liberté d'expression de l'encouragement à l'infraction.
Je comprends fort bien l'agacement et même l'inquiétude de plusieurs juges devant le défi des injonctions au printemps. Gabriel Nadeau-Dubois a personnifié cet élan vaguement anarchiste, ce mépris des institutions.
Raison de plus pour qu'il soit jugé selon les normes exigeantes de notre droit, et qu'on fasse la démonstration éclatante de sa culpabilité.
Le juge Denis Jacques n'a pas fait cette démonstration.
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