Est-ce une version plus dure ou, au contraire, moins stricte du projet initial de charte? Une période de transition variable est-elle l'équivalent d'un droit de retrait? Un hôpital, par exemple, pourra-t-il garder sa dénomination religieuse et continuer de permettre les signes ostentatoires? Congédiera-t-on des employés des services publics et parapublics qui refuseront de retirer leur signe religieux? Le crucifix, on l'enlève ou non du Salon bleu de l'Assemblée nationale? Ça passe le test constitutionnel ou non? Un établissement pourra-t-il, selon sa clientèle, son personnel et ses particularités sociodémographiques, obtenir des dérogations au cas par cas?
Pour un projet de loi tellement attendu après des mois de ballons d'essai dans les médias et qui devait clarifier les détails complexes de la cohabitation dans la société québécoise, disons que le document déposé hier par Bernard Drainville ajoute plutôt une bonne couche de flou.
Entre autres contradictions, on officialise le régime du cas par cas pour les établissements publics en fonction de leur «historique et des conditions de leur création, ainsi que de leur caractère continu» ou en vertu de «critères spéciaux».
Autrement dit, l'Hôpital juif de Montréal, pour prendre un exemple parmi d'autres, continuera de s'appeler ainsi et gardera le droit de permettre les signes religieux dans ses murs, mais l'éducatrice en CPE ou au service de garde scolaire de l'autre côté de la rue devra retirer son hijab. Ou perdre son modeste emploi. (En passant, je n'arrive toujours pas à comprendre en quoi on favorise l'intégration des immigrants et l'égalité hommes-femmes en renvoyant à la maison des femmes actives sur le marché du travail et appréciées dans leur quartier.)
Idem pour le médecin sikh qui pratique depuis des années. Il pourra vraisemblablement garder son turban (et son job) en vertu d'une demande de son employeur, mais un jeune coreligionnaire, actuaire de formation, par exemple, ne sera pas embauché à Revenu Québec parce qu'il refuse de se découvrir la tête. Le royaume de l'arbitraire, du cas par cas, des critères spéciaux. Et de la discrimination.
Au passage, on officialise aussi la tergiversation autour du crucifix au Salon bleu de l'Assemblée nationale. Si ça continue, on va bientôt proposer une période de transition d'une durée imprécise au cours de laquelle on retirera la fameuse croix de la noble enceinte, mais seulement les jours pairs, sauf les jours fériés, question de s'habituer tranquillement à sa disparition. Tant qu'à faire compliqué.
Ce n'est pas un hasard si la «Charte de la laïcité» est devenue «Charte des valeurs québécoises» pour ensuite devenir «Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l'État ainsi que d'égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d'accommodement». Comme le veut le dicton: ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément. Ce n'est visiblement pas le cas ici.
Cette nouvelle mouture du projet de charte exclut aussi le droit de retrait des municipalités prévu initialement, ce qui promet de créer une levée de boucliers dans tous les hôtels de ville de l'île de Montréal. Le gouvernement le sait, mais cela ne l'inquiète pas outre mesure. «On sait que la Charte sera contestée devant les tribunaux, que ce soit par Denis Coderre ou quelqu'un d'autre», m'a lancé récemment un haut gradé du gouvernement Marois.
Le projet a toutefois le mérite de préciser les fameuses balises en matière d'accommodements religieux, en précisant qu'ils ne peuvent contrevenir au principe d'égalité hommes-femmes.
Cela dit, la Charte ne réinvente pas la roue. La Commission des droits de la personne a établi, il y a de cela plusieurs années, qu'un accommodement ne peut entraîner «une dépense difficile à absorber pour une entreprise; une entrave indue au bon fonctionnement d'une organisation ou une atteinte importante à la sécurité ou aux droits d'autrui». Le ministre Drainville ne fait qu'ajouter des bretelles à la ceinture.
Mais de toute façon, tous ces débats juridiques autour de la Charte et ces questions sur son application sont superfétatoires. Ce projet est un outil politique conçu pour ne pas être adopté. Ça ne veut pas dire que ses auteurs n'y croient pas. Ça veut dire qu'ils savent que ça ne passera pas... et que c'est parfait comme ça.
Nous parlons d'un projet de loi, mais en réalité, c'est un chapitre d'un programme électoral. Un programme assorti d'une pilule empoisonnée que le gouvernement administrera aux partis de l'opposition, en particulier aux libéraux, pour se faire défaire en Chambre, idéalement avant le prochain budget. Pourquoi le gouvernement accepterait-il la position mitoyenne de la CAQ alors qu'il cherche à faire ressortir ses divergences avec le Parti libéral?
Le gouvernement sait que les médias vont continuer d'en parler abondamment et que le débat, déjà véhément depuis des mois, continuera de faire rage dans les chaumières du Québec. En prime, le gouvernement Harper, le NPD, le PLC et les médias du ROC vont monter aux barricades pour défendre le multiculturalisme.
Le gouvernement Marois a dépensé à ce jour 1,2 million en publicité pour «vendre» son projet. C'est beaucoup d'argent pour une politique qui, de l'aveu même de membres influents de ce gouvernement, ne sera pas adopté avant les prochaines élections.
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