Si tombe la ville de Tikrit, où sont entrées les troupes irakiennes pour en chasser le groupe État islamique (EI), les puissances occidentales pavoiseront, mais pavoiseront avec prudence. Victoire encourageante, mais pas forcément déterminante sur le plan militaire. C’est géopolitiquement qu’elle serait dans l’immédiat la plus parlante, dans la mesure où elle vient reconfirmer l’influence croissante de l’Iran, au grand dam de pays comme l’Égypte et l’Arabie saoudite.
Du strict point de vue militaire, la vraie bataille qui attend les troupes irakiennes, les milices chiites et la coalition internationale est celle de Mossoul (350 km au nord de Bagdad), une ville d’un million d’habitants à 65 % sunnite, dont l’EI a fait la capitale irakienne de son « califat ». On peut raisonnablement s’attendre à ce que les médias fassent de cette offensive le grand feuilleton de l’été prochain. Or, les succès attendus à Tikrit, lieu de naissance de feu Saddam Hussein, une petite ville aujourd’hui désertée située à mi-chemin entre Bagdad et Mossoul, peuvent difficilement mesurer ce qui pourrait se passer à Mossoul.
Ce que ne dément pas la bataille de Tikrit, où la coalition internationale n’a d’ailleurs pas appuyé par raids aériens les forces au sol, du moins pas encore, c’est le rôle majeur et croissant que joue l’Iran. Les deux tiers des quelque 27 000 soldats lancés contre l’EI appartiennent aux milices chiites des Unités de mobilisation populaire (UMP), intégrées aux forces de sécurité irakiennes depuis l’année dernière. Les UMP, dont le chef a été étiqueté en 2009 comme terroriste par le département d’État américain, sont historiquement très proches des Gardiens de la révolution, alors que les « conseillers militaires » que l’Iran a dépêchés en Irak se battraient à leurs côtés. Les UMP sont aujourd’hui pour les États-Unis l’ennemi de mon ennemi devenu mon ami. Deux fois plutôt qu’une.
On ne s’étonne plus. Faut-il rappeler qu’al-Qaïda est un cancer nourri par les Américains en Afghanistan pour lutter contre les Soviétiques et que l’EI en est une métastase ultrafanatisée formée en Irak ? Faut-il rappeler que les cerveaux militaires de l’EI sont d’ex-officiers de l’ancien régime baasiste de Saddam Hussein ? En un mot comme en mille, l’invasion de l’Irak en 2003 par les États-Unis a fini par donner naissance à l’EI, monstre de régression — et donner des ailes à la République islamique d’Iran. Faut-il enfin rappeler que les armes que les États-Unis ont livrées à la Turquie à partir de 1984 étaient spécialement destinées à lutter contre les organisations kurdes, aujourd’hui encensées dans les capitales occidentales pour la résistance qu’elles opposent à l’EI ?
En fait, les milices chiites sont probablement devenues plus puissantes que l’armée irakienne, constatent des experts. Ce qui présente des risques évidents d’aggravation des violences sectaires qui empoisonnent la vie nationale et contre lesquelles le bancal État irakien prétend promettre de lutter. Pour autant, l’establishment militaire américain se dit maintenant tout à fait à l’aise avec cette participation iranienne dans la mesure où, comme le déclarait récemment un haut gradé, « nous avons le même objectif ».
La reconfiguration des alliances est proprement stupéfiante. Ce qui donne froid dans le dos au premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou, qui l’a bien fait savoir devant le Congrès américain en prophétisant l’apocalypse si un accord sur le nucléaire était signé avec Téhéran, mais aussi aux alliés arabes traditionnels des Américains — Le Caire, Riyad, les pays du Golfe. Ces vieux alliés voient avec effroi Washington, libéré de leur pétrole, se désengager du Moyen-Orient en poursuivant son « pivot » vers l’Asie. Reconfiguration stupéfiante, certes, mais soumise en proportion absolument démentielle à la loi des armes.
IRAK
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