Poussé à bout par l’intransigeance de Madrid, le Parlement de la Catalogne a finalement voté vendredi une déclaration d’indépendance. Carlos Puigdemont s’est-il jeté dans la gueule du loup ? Dans l’immédiat, si. Ce qui n’exclut pas de penser que Madrid fait le pire des calculs : la décapitation du gouvernement catalan ne signifie certainement pas la mort du mouvement indépendantiste.
C'est la cassure la plus dramatique dans l’ordre politique espagnol depuis la fin de la dictature, il y a quarante ans. C’était une possibilité, elle est maintenant avérée. Mais avec quelles conséquences ?
Le Parlement catalan a voté vendredi, à la quasi-unanimité de ses élus indépendantistes (70 sur 72), une résolution déclarant que la région de 7,5 millions d’habitants devenait un « État indépendant prenant la forme d’une République ». Presque au même moment, le Sénat espagnol accédait aux demandes du gouvernement conservateur de Mariano Rajoy en approuvant, ce qui était écrit dans le ciel, la mise sous tutelle de la Catalogne et la destitution de l’exécutif régional. Dans la foulée, la justice espagnole — une justice dont on a découvert à quel point elle est politisée — a annoncé que le président catalan, Carlos Puigdemont, allait être poursuivi pour rébellion, un délit passible de 15 à 30 ans de prison.
Le vote très majoritaire pour l’indépendance masque les profonds tiraillements qui ont agité le gouvernement catalan au cours des derniers jours. Il s’en est fallu de peu pour que M. Puigdemont annonce jeudi après-midi la tenue d’élections hâtives qui auraient pu, en principe, désamorcer la crise, du moins à court terme, et lever la menace de l’application répressive du fameux article 155 de la Constitution. Il ne l’a pas fait, faute de « garanties » de la part de Madrid autour d’un scrutin qui aurait nécessairement revêtu un caractère référendaire.
C’est dire, contrairement à ce que veut généralement faire croire la grande presse française, à quel point le principal responsable de l’impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui le pays est le gouvernement conservateur du Mariano Rajoy. C’est d’abord son gouvernement qui, par son intransigeance, a laissé dégénérer la situation après la décision de la Cour constitutionnelle, en 2010, de réduire substantiellement l’autonomie qui avait été accordée à la Catalogne quatre ans plus tôt. À laisser planer la possibilité de suspendre la menace de l’article 155 sur la mise en tutelle de la Catalogne si les indépendantistes tenaient des élections hâtives, le gouvernement de M. Rajoy aura réussi à diviser le camp souverainiste, faisant au final la preuve qu’il n’avait aucun intérêt à trouver une sortie de crise passant par le dialogue avec le gouvernement Puigdemont.
Entendu que, depuis le début de la guerre politique ouverte par le référendum tenu le 1er octobre (remporté avec 90 % de « oui », mais avec un taux de participation de seulement 43 %, vu le boycottage de l’opposition), l’éléphant espagnol dispose de tous les moyens imaginables pour écraser la souris catalane. Et qu’il ne se gêne pas pour les utiliser. Quitte à se blesser lui-même dans l’opération. Lire : nuire au développement démocratique de l’Espagne.
À défaut de dialogue, M. Rajoy reporte la crise, la reconfigure. Il pense peut-être qu’à commander lui-même pour le 21 décembre la tenue d’élections régionales, après s’être débarrassé du gouvernement catalan par détournement politique de la Constitution, l’abcès sera crevé. Il ne le sera pas. Que les partis pro-espagnols l’emportent est possible, comme les Catalans sont divisés par le milieu sur la question de l’indépendance.
> Lire la suite de l'article sur Le Devoir