L’impact des élections générales de dimanche en Allemagne est double et majeur. À l’intérieur, elles reconfigurent en profondeur le paysage politique national. À l’échelle de l’Europe, elles contrecarrent un projet pro-européen qui semblait avoir trouvé un nouveau souffle avec l’arrivée d’Emmanuel Macron.
Pour avoir décidé de s’en tenir à une campagne passive, la chancelière Angela Merkel a pour ainsi dire décroché un quatrième mandat in absentia. On comprend qu’elle n’ait pas tenu à s’autoflageller publiquement à l’issue de ce scrutin où les chrétiens-démocrates de la vieille alliance CDU-CSU ont enregistré un score historiquement bas de 33 % des voix. Sa décision en 2015 d’ouvrir les frontières à un million de demandeurs d’asile ? « La bonne », a-t-elle répondu, même si cela a créé « une polarisation liée à ma personne ».
La bonne, sans l’ombre d’un doute, vu l’impératif humanitaire que soulevait la plus grande crise migratoire qu’ait vécue le monde depuis la Seconde Guerre mondiale. Deux ans plus tard, l’intégration de ces personnes — des adultes sur le marché du travail et de leurs enfants à l’école — constitue dans l’ensemble une réussite, sans être parfaite.
L’erreur de Mme Merkel aura cependant été de faire l’impasse en campagne sur le malaise qu’a malgré tout suscité cette immigration massive au sein d’une partie de la population. Fuyant le débat, elle a laissé le champ libre à l’extrême droite réunie autour d’Alternative pour l’Allemagne (AfD) — un parti islamophobe, europhobe et anti-migrant, qui ne s’est pas privé d’instrumentaliser ce malaise, sans faire même l’effort de se dédiaboliser, comme avait pris la peine de le faire la chef frontiste Marine Le Pen, en France.
L’erreur de Mme Merkel s’est conjuguée à une autre dynamique : à savoir que la chancelière se sera employée au cours des dernières années à cannibaliser le programme des sociaux-démocrates du SPD, se trouvant ainsi à vider de son sens l’opposition traditionnelle.
Avec le résultat que l’électorat a déserté dimanche le SPD, le parti enregistrant son pire score depuis 1949 (20,5 %). Normal dans ce contexte que le SPD ait immédiatement fait savoir qu’il allait retourner se ressourcer sur les bancs de l’opposition et qu’il ne saurait être question d’entrer en alliance avec la CDU pour former le prochain gouvernement.
Deux facteurs, donc, dont la conjonction fait aujourd’hui en sorte que l’AfD entre non seulement au Bundestag pour la première fois, mais qu’il le fait avec force (12,6 % des votes).
Difficile de ne pas s’étonner du fait que la chancelière sortante n’ait pas mieux mesuré le poids et l’influence du discours défendu par l’AfD. Elle se trouve ici à reconfirmer à quel point les élites qui gouvernent nos démocraties sont souvent déconnectées. Certes, l’extrême droite demeure pour le moment davantage endiguée en Allemagne qu’elle ne l’est en Autriche, en Pologne ou en France. Reste que, depuis sa création il y a seulement quatre ans, l’AfD a tout de même réussi à faire son entrée dans les Parlements de 13 des 16 Länder du pays.
C’est tout ce que les européistes ne croyaient pas voir se produire. Ces élections viennent reconfigurer en profondeur le paysage politique allemand. Et son onde de choc est de dimension européenne. Certes, Mme Merkel n’a jamais été considérée comme l’apôtre la plus fervente d’une plus grande intégration européenne, tant s’en faut, mais on pouvait imaginer qu’une fois réélue avec les marges de manoeuvre que l’électorat lui donnait depuis 12 ans, l’enthousiasme d’Emmanuel Macron serait au moins en partie contagieux et que, ce faisant, un front Macron-Merkel pourrait se constituer pour redynamiser un projet continental mis à mal par la perspective du Brexit.
> Lire la suite de l'article sur Le Devoir