Le 24 juin dernier, j’ai lu avec grand intérêt l’entretien accordé par cinq membres du Mouvement des jeunes souverainistes (MJS) à Mathieu Bock-Côté. Comme eux, je suis un jeune Québécois dans la vingtaine, qui appuie sans réserve l’idée d’indépendance du Québec. Pourtant, alors qu’ils souhaitent manifestement ancrer la cause dans l’esprit de l’époque, aussi postnational, vert et «inclusif» soit-il, il me semble au contraire que c’est avant tout un certain conservatisme qui justifie aujourd’hui de faire du Québec un pays.
En effet, il y a dans leur plaidoyer une tentative d’attacher le wagon de la souveraineté à la locomotive progressiste pour en faire d’abord «un projet inclusif, environnemental et résolument à gauche». Se rendent-ils compte que le Canada se vante lui-même d’être la patrie de la vertu et du progressisme à l’échelle mondiale, la post-nation qui ne se définit que par son absence d’identité et son système de santé, particulièrement par rapport aux États-Unis? Quant à l’environnement, il est parfaitement possible d’être à la fois écologiste et fédéraliste, et de voter NPD ou Vert au fédéral. C’est d’ailleurs ce que fait une bonne partie des progressistes de notre génération.
Question nationale
Comme trop d’indépendantistes dans les dernières années, les jeunes du MJS tiennent mordicus à se distancier «d’un certain conservatisme» ou «des tendances plus traditionalistes ou identitaires». Cependant, ils savent au fond d’eux-mêmes que la question nationale ne se pose qu’en raison de notre identité distincte du reste du Canada, et que les facteurs écologiques, sociaux ou économiques qu’ils citent pour justifier la souveraineté ne suffiraient pas en l’absence de ce que René Lévesque appelait «notre différence vitale».
On assiste depuis quelques années au Québec à la montée d’un certain courant conservateur, qui redécouvre l’importance de la nation et de l’enracinement, tout le contraire de la vulgate progressiste que prêche le Canada anglais aujourd’hui. De plus en plus de Québécois se rendent compte de la vacuité du postnationalisme et de l’idée de progrès en elle-même, qu’on pose pourtant comme des absolus en notre ère, et du besoin d’un ancrage dans une tradition pour s’épanouir pleinement.
Sur des questions cruciales comme la laïcité, les seuils d’immigration, la critique du multiculturalisme et du wokisme, la majorité québécoise entre en collision frontale avec la pensée unique anglo-canadienne. Ces questions ne sont pas accessoires, elles concernent le fondement symbolique de la société et notre manière de vivre ensemble. Avant que l’on n’objecte que ce nationalisme d’inspiration conservatrice est un combat d’arrière-garde mené par les boomers, il convient de rappeler que la Coalition avenir Québec (CAQ) fut le premier parti chez les moins de 35 ans à la dernière élection, que 57% d’entre eux appuient la loi 21 et que 52% appuient le gouvernement Legault dans sa volonté de baisser les seuils d’immigration.
Discours identitaire
Que ceux qui croient encore que le discours identitaire empêche de rassembler se rendent à l’évidence: le nationalisme dit conservateur rejoint aujourd’hui bien plus d’adhérents au Québec que le mouvement souverainiste, qui tombe en décrépitude à force de se confondre en excuses et de vouloir singer le «bon Canada progressiste». En 2021, l’indépendance doit signifier demeurer comme nation à l’ère du mouvement perpétuel, et incarner les attaches et l’enracinement à une époque où tout se veut «fluide» et «ouvert». Parions que la majorité des Québécois, qui a tourné la page sur le lyrisme du souverainisme de gauche des années 70, mais qui conserve un désir ardent de durer comme peuple, s’y reconnaîtra.
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