Une des leçons les plus douloureuses, dans cette course à l'abîme, face à la crise économique et fiscale en Europe et aux États-Unis, c'est l'incapacité apparente des gouvernements et des politiciens à infléchir le cours des choses.
Comme si la politique et ses acteurs n'étaient plus qu'un théâtre de gesticulations, avec des ministres et des présidents qui n'ont plus les moyens d'agir, qui réagissent avec deux coups de retard... ou qui, lorsqu'ils ont encore ces moyens, n'ont plus la volonté de les utiliser.
«Je porte le deuil aujourd'hui et je suis indigné», a pleuré ce week-end Jacques Delors, ancien ministre français, considéré comme l'un des pères de l'Europe moderne. Il commentait une énième réunion d'officiels européens, tenue à Wroclaw en Pologne, au cours de laquelle il a été question d'accélérer les paiements au gouvernement d'Athènes, qui ne sait même plus s'il pourra verser les pensions et les salaires des Grecs d'ici à Noël.
«Ça veut dire que ces 17 ministres, qui sont dans un paquebot au milieu d'une tempête, ont discuté avec des petits calculs», s'est lamenté M. Delors, pour qui l'Europe politique et sa monnaie commune sont aujourd'hui «au bord du gouffre».
Les responsables européens, dixit Jacques Delors, se comportent comme des petits politiciens locaux, insouciants ou ignorants des problèmes qui les dépassent, soucieux de leur seul intérêt immédiat, alors que la catastrophe qui se profile devrait appeler à une coordination continentale.
Par ailleurs, comme le rappelait Christian Rioux vendredi dans ces pages, il y a une contradiction tragique entre la demande économique (il faut «plus d'intégration», il faut «un gouvernement économique à partir de Bruxelles», répètent les analystes patentés) et l'état d'esprit des populations et des nations, qui depuis longtemps se montrent réfractaires à une intégration accrue, décidée par en haut, souvent contre la volonté démocratique exprimée par des élections et des référendums.
Selon Martin Wolf, chroniqueur au Financial Times et au Monde, la crise de l'euro fait voir «un manque de confiance fondamental, sans parler d'un manque d'identité partagée, parmi des peuples enfermés dans ce qui est devenu un mariage d'inconvenance».
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Même un grand pays qui, lui, a toute sa souveraineté nationale — les États-Unis d'Amérique — semble aux prises avec une déconsidération et une impuissance croissantes de la fonction politique face aux tempêtes économiques.
L'économie américaine fait du «sur-place»; Barack Obama ne semble pas pouvoir y changer quoi que ce soit. Quant à l'opposition républicaine, elle ne semble pas vouloir y changer quoi que ce soit, car elle calcule de façon perverse que le naufrage économique, c'est du pain bénit pour elle en vue des prochaines élections...
Le vent dans les voiles, l'extrême droite vociférante incarnée par Michele Bachmann (représentante du Minnesota) et Rick Perry (gouverneur du Texas) peut effectivement surfer sur la crise économique. Dogmatiquement anti-étatique, elle a beau jeu de saboter les tentatives de reprise par une intervention politique... pour claironner ensuite que les plans de relance, «ça ne marche pas et ça ne peut pas marcher».
Le second plan de relance de 440 milliards présenté le 7 septembre par le président n'a donc aucune chance de passer tel quel au Congrès. La droite aime répéter que les 700 ou 800 milliards du premier plan (Recovery Act du 17 février 2009) «n'ont rien donné», puisque l'électroencéphalogramme de l'économie américaine est resté globalement plat.
Or, ce que cache cette lecture «politicienne» des événements — avalée par la population, mais contredite par nombre d'économistes sérieux —, c'est que l'intervention de février 2009 a fort probablement prévenu une dépression beaucoup plus grave que ce qu'on a vu.
Selon Paul Krugman, Prix Nobel d'économie 2008, c'est 1500 milliards qu'il aurait fallu alors injecter. Selon lui, et malgré la réalité du problème de la dette à long terme (qui varie d'un pays à l'autre), une reprise «keynésienne» par la dépense publique, oui, ce serait encore possible en 2011-2012. Au moins deux grands pays, l'Allemagne et les États-Unis, en auraient toujours les moyens, avec des effets bénéfiques qui dépasseraient leurs frontières.
Hélas! L'hystérie ambiante sur le déficit et la dette tue dans l'oeuf, au niveau politique, toute nouvelle initiative en ce sens. La crise actuelle est bien plus qu'une crise financière et fiscale. C'est, à travers tout l'Occident, une crise de leadership, une crise de la démocratie et de la confiance envers les pouvoirs publics.
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François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses carnets dans www.radio-canada.ca/nouvelles/carnets.
L'impuissance des politiques
Crise mondiale — crise financière
François Brousseau92 articles
François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
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