L'Illusion débile...

L'illusion tranquille

[->3684] Encore des Québécois qui condamnent le modèle de développement social-démocrate préconisé par leurs compatriotes. Des résidants de la région de Québec qui, par leurs récriminations qui détonnent sur l’ensemble québécois, ajoutent à l’énigme qu’incarne la Capitale nationale depuis quelques temps.
Je n’ai pas visionné le pamphlet «L’Illusion tranquille » de Joanne Marcotte, aidée par son conjoint Denis Julien. J’ai par contre lu plusieurs critiques et entendu moult débats qui en ont traité. Ce qui m’a amplement suffi pour me renseigner adéquatement. Car je connais le refrain de ces gens que l’on peut associer au groupe des « lucides. »
Pas de chance cependant pour l’auteure du brûlot : un sondage de la maison Crop dévoilé au moment du lancement de son documentaire hors des remparts de la capitale, a contredit de plein fouet ce qu’elle prétend. L’enquête, dont les questions furent [trafiquées aux dires même du concepteur,->3650] n’est quand même pas parvenue à produire les réponses espérées par les « lucides! » Ainsi, les résultats du sondage de cette firme qui n’est pas associée au camp souverainiste, révèlent que les Québécois, particulièrement les jeunes, veulent un État interventionniste qui redistribue la richesse de façon solidaire dans la collectivité. Voilà qui confirme avec éloquence ce qu’écrit [Louis Cornellier au sujet des intervenants du documentaire dans l’édition du Devoir du samedi 13 janvier dernier->3684] : ces apôtres du néolibéralisme «prennent leur complainte pour des arguments. » D’où leur confusion de croire qu’une large part de la société civile pense comme eux…
Il est faux d’affirmer que les politiques mises de l’avant par l’État québécois, depuis la Révolution tranquille, empêchent ces gens de s’enrichir davantage. Parce qu’il s’agit bien là du mal principal qui les ronge. Les effets pervers que provoquent parfois les programmes sociaux québécois, distorsions qu’ils fustigent dans le film de 72 minutes, ne parviennent pas à camoufler leur cupidité. D’autant plus que les « iniquités » décriées favoriseraient les biens nantis qu’il faudrait alors taxer davantage, ce que manifestement ne souhaite pas l’auteure! De plus, oser dire que la critique du modèle québécois est impossible au Québec sans être qualifié de « traître à la patrie », prétendre que peu de tribunes permettent aux représentants de la droite québécoise de s’exprimer, relève du délire. Alain Dubuc du quotidien La Presse, un des « 10 experts » invités à se prononcer dans le documentaire, ne jouit-il pas d’une visibilité médiatique privilégiée? Son collègue [André Pratte->3683], qui n’y apparaît pas, partage néanmoins les mêmes valeurs et est l’éditorialiste en chef du même journal. Tout deux disposent également d’une place de choix sur le site internet «Cyberpresse.» En fait, l’auteure du pamphlet a tout faux : ceux qu’elle défend bénéficient d’outils de diffusion qui font l’envie de leurs adversaires.
Même dérapage en ce qui a trait aux syndicats du secteur public qui sont accusés de dominer l’État québécois. Depuis 25 ans, les employés gouvernementaux sont au contraire l’objet de lois spéciales qui fixent leur salaire et leurs conditions de travail. Ce qui explique d’ailleurs le retard de près de 20% dont souffre leur rémunération par rapport à celle des employés du secteur privé. Certes il y a la permanence, avantage social difficile à évaluer. Avouons cependant que les syndiqués de la fonction publique la payent chèrement. Mais pas assez selon le documentaire! Cet avantage social devrait disparaître, ainsi que l’ancienneté et la notion du « plancher d’emploi. » Que les plaignants se rassurent : Québec abolit présentement beaucoup de postes par attrition, à la grande joie de la ministre du Conseil du trésor, Monique Jérôme-Forget. La mondialisation se charge du secteur privé : sous la menace de délocaliser les emplois, les entreprises privées imposent la réouverture des conventions collectives qu’elles révisent à la baisse. Olymel, qui somme ses employés d’accepter une baisse de salaire ainsi que Bombardier, qui a soutiré des concessions semblables en retour de la production d’un nouvel avion à Mirabel, n’en sont que quelques exemples. Seul le milieu municipal semble encore épargné d’une tendance lourde que les penseurs néolibéraux du film refusent de voir.
Le fédéralisme serait également victime au Québec d’une censure concertée, selon le documentaire. Encore là, l’auteure divague. Les membres du gouvernement Charest ne se bâillonnent aucunement pour faire l’éloge du système fédéral. Ni les médias québécois qui sont largement à sa solde. La présente administration libérale est la plus soumise de l’histoire récente du Québec: Jean Charest a abandonné toutes les revendications pour lesquelles ses prédécesseurs se faisaient un devoir de lutter. Sa dernière démission touche la bataille du déséquilibre fiscal. Le premier ministre du Québec a en effet affirmé, le 13 décembre dernier, qu’il renonçait à exiger d’Ottawa qu’il règle cette injustice dans son budget prévu pour le mois de mars. Le chef libéral acceptera docilement ce que le gouvernement fédéral lui consentira. D’où sa soudaine intention de faire encore une fois de la santé l’enjeu principal de la prochaine élection québécoise…
Cette honteuse abdication s’ajoute à celle de « réinventer » l’État que le dirigeant du PLQ avait promis de réaliser en 2003. Jean Charest a dû se raviser, au grand dam des intervenants du documentaire. C’est que l’interventionnisme d’État est utilisé par l’ensemble des pays développés dont les États-Unis. Ainsi, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, le gouvernement libéral a déroulé le tapis rouge pour convaincre la multinationale Alcan d’y construire une aluminerie. Interviewé à ce sujet dans le cadre de l’émission « Désautels » sur la Première Chaîne de Radio-Canada, un économiste de l’Université du Québec à Chicoutimi a estimé que l’ensemble des subventions et autres faveurs énergétiques consenties au géant mondial de l’aluminium, représentaient des contributions publiques de plus de 350 000 dollars par emploi créé. Et dire que les libéraux ont juré qu’ils ne feraient pas comme les péquistes…
Voilà ce qui arrive lorsque l’on se berce d’illusion, celle de croire que le Québec n’agit pas de la bonne manière. Certes, rien n’est parfait. Reste que depuis quelques années, de nombreux Québécois reviennent « à la maison », désireux d’y jouir d’un système de partage que l’on cherche constamment à améliorer. À voir le boom qu’a connu le secteur de la construction domiciliaire caractérisé par ses nombreuses « monsters houses », à regarder les VUS pulluler sur les routes et à observer le rythme de consommation des Québécois, le modèle social-démocrate du Québec n’a rien d’un boulet qui nuit à son développement.
Ce qui l’empêche de progresser plus vite est la tutelle fédérale. Pas de danger que le documentaire le relève. Au contraire, il n’a que faire de la différence québécoise à laquelle une large part de la société civile est attachée. L’enseignement de l’anglais, dès la première année du primaire dans les écoles francophones aux petits Kevin, Jessy, Dave, Kelly, Sabrina et Cindy, l’affichage commercial qui écorche de plus en plus la langue française -- preuves que le bilinguisme se porte très bien au Québec -- ne suffisent pas pour madame Marcotte et ses acolytes. Le film se termine en effet sur l’image d’une jeune fille qui avoue, en anglais, aimer le Québec mais qu’il faut plus. Je vous laisse deviner à quel paradis l’auteure nous convie…
Patrice Boileau


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