[L'Illusion tranquille->3148], le documentaire propagandiste de [Joanne Marcotte->2988], projeté sur quelques écrans montréalais depuis hier, est littéralement affligeant. Même s'il s'agit d'un document audiovisuel, je le traiterai ici comme un essai puisque son intention est bien de lancer un débat d'idées. Sous prétexte, en effet, de critiquer les ratés du «modèle québécois», il donne la parole à des penseurs néolibéraux qui jouent les victimes et prennent leur complainte pour des arguments. Pendant une longue heure, ces «lucides» nous font la leçon en nous assenant les pires clichés d'une droite québécoise imbue de vérités simplistes.
L'ubiquiste Richard Martineau, qui les a trouvés bien bons, tentait de désamorcer, cette semaine, d'éventuelles critiques à leur égard. «Ils vont dire, annonçait-il en parlant de ceux qui dénonceront ce document, que c'est de la vulgaire propagande de droite, un brûlot antisyndical écrit et mis en scène par des militants de l'ADQ, du Conseil du patronat et de l'Institut économique de Montréal.» Eh bien oui, on va le dire, parce que c'est ça.
Prenons, par exemple, les propos tenus sur le syndicalisme par plusieurs des intervenants qui apparaissent dans [L'Illusion tranquille->1011]. L'économiste [Marcel Boyer->70] qualifie les dirigeants syndicaux -- et c'est à entendre comme une insulte -- de prêtres et de curés. Le philosophe Frédérick Têtu, pour sa part, dit qu'ils pratiquent une pensée magique analysable en termes théologiques. L'excité Réjean Breton, le farfadet heavy du néolibéralisme québécois, en rajoute en déclamant qu'ils gouvernent le Québec, peu importe le gouvernement en place. En d'autres termes, c'est n'importe quoi.
Que les syndiqués de la fonction publique aient eu, depuis 25 ans, à subir une foule de lois spéciales imposées par les gouvernements péquistes et libéraux, qui ont décrété sans négocier les salaires et les conditions de travail de leurs employés, cela semble échapper à ces «réalistes». Dans son numéro de janvier 2007, la Revue Notre-Dame (RND), qui n'est pas un repaire de gauchistes, demande à l'historien Jacques Rouillard si les syndicats sont trop forts. Réponse: «Foutaise. Au contraire, depuis 25 ans, on assiste à un affaiblissement du mouvement syndical.» Selon lui, d'ailleurs, «jamais, dans l'histoire du Québec, nous n'avons connu une aussi longue période, soit environ 25 ans, au cours de laquelle le pouvoir d'achat des travailleurs québécois n'a pas augmenté».
Dans la bouche du démagogue Réjean Breton, la syndicalisation de la fonction publique et le critère de l'ancienneté deviennent bien sûr des plaies sociales. Son collègue Jean Bernier, dans la RND, insiste pourtant pour rappeler que la première «a apporté une nette amélioration de la compétence des employés de l'État» en dépolitisant ces emplois et que le second nous préserve de «l'arbitraire patronal, c'est-à-dire [de] l'employeur qui décide comme il l'entend». Même les jeunes, précise-t-il, seraient perdants si les clauses relatives à l'ancienneté disparaissaient, parce qu'«il y aura toujours quelqu'un de suffisamment compétent pour prendre le relais, à moindre coût pour l'employeur».
Mais cela, dans L'Illusion tranquille, vous ne l'entendrez pas. Joanne Marcotte a préféré donner la parole, disait-elle en substance à TQS avant Noël, à des gens que l'on n'entend pas assez. Et qui sont ces discrets? Nul autre, tenez-vous bien, qu'Alain Dubuc, de La Presse, que Norma Kozhaya, de l'Institut économique de Montréal, un organisme qualifié de la source la plus surexposée dans les médias québécois en 2006 par le magazine - Trente - et que le professeur Pierre Sormany accuse de déguiser «sous le titre d'étude ou de recherche des positions éditoriales tranchées en faveur de l'ultralibéralisme», de même que, parmi d'autres, Mathieu Laberge, prof d'économie au collégial et lui aussi chroniqueur à La Presse.
Ce dernier, d'ailleurs, incarne désastreusement bien l'esprit de L'Illusion tranquille. Il multiplie les poncifs du genre «Les baby-boomers se sont servis et nous laissent ramasser, les syndicats bloquent les réformes, empêchent la modernisation du Québec et s'adonnent à la fumisterie en parlant de solidarité». Quelles réformes? Quelle modernisation? Il ne le dira pas. Ou si, il mentionnera deux choses: nous devrions nous inspirer de modèles anglo-saxons (?) et augmenter les droits de scolarité. Beaucoup d'affirmations, donc, mais peu d'arguments et de faits. Vous aviez déjà entendu ça mille fois? Pas Joanne Marcotte, semble-t-il.
Universalité des programmes sociaux
Un autre dossier qui dérange beaucoup ces penseurs soi-disant victimes d'ostracisme mais que l'on entend partout est celui de l'universalité de nos programmes sociaux. C'est d'ailleurs le passage que Richard Martineau a le plus apprécié. Pourquoi, en effet, des garderies à 7 $ pour tout le monde? Soudain, nos frustrés de la social-démocratie font mine de vouloir faire payer les riches! Pas par le biais des impôts, ce qu'ils font déjà et devraient faire encore plus. Non, par le principe de l'utilisateur-payeur. On voit la manoeuvre: on renvoie les plus riches à leur consanguinité sociologique en affirmant vouloir continuer à payer pour les autres, mais on décrète rapidement qu'on paie trop d'impôts, qu'on n'a plus les moyens, et basta! Quant au principe de faire société, de partager une aventure commune, principe qui est au coeur de l'universalité des programmes qui concernent l'essentiel, nos enragés de la concurrence en font fi. Pas bon pour la croissance, ça, disent-ils, en contradiction avec la science économique la plus avancée (voir Les Vraies Lois de l'économie, Jacques Généreux, Le Seuil, 2005).
Pourquoi, d'ailleurs, ces esprits autoproclamés ouverts sur le monde (le documentaire se termine avec une jeune fille qui nous dit, en anglais, qu'elle aime le français mais qu'il faut plus) gardent-ils le silence sur le modèle scandinave, caractérisé par un gros État, de gros impôts, un très fort taux de syndicalisation et, ô miracle, la meilleure qualité de vie au monde? Où veulent-ils en venir?
Martineau prétend que, pour commencer l'année du bon pied, il faut aller voir L'Illusion tranquille. Allez-y, oui, mais pas pour cette raison. Plutôt pour voir l'imposture tapageuse en face et bien connaître le discours que vous devrez combattre si la justice sociale vous intéresse. Je vous suggère, pour bien vous armer avant de subir cette pénible épreuve, la lecture de deux essais importants: [Rembourser la dette publique: la pire des hypothèses->2899] (chaire d'études socioéconomiques de l'UQAM, 2006), de l'économiste Louis Gill, et le profond et costaud La Dissociété (Le Seuil, 2006), un livre de l'économiste français Jacques Généreux qui terrasse brillamment la niaiserie philosophique et économique du néolibéralisme.
louiscornellier@ipcommunications.ca
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L'illusion tranquille
Scénario et textes: Denis Julien et Joanne Marcotte
Réalisation: Joanne Marcotte
Les productions Captiva inc., 2006
« Les "unions" qu'ossa donne ? »
Revue Notre-Dame, vol. 105, n° 1,
janvier 2007/01/10
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